mercredi 17 octobre 2012

ORIENTAL MAGIC

Malgre ma cheville bleuie, "mon kussi tsu" : je suis de bonne humeur! Il y eut un soir ou j'ai boite fortement, mais a force de repos, de glace et de patience, ca desenfle tranquillement. Ouf! Je peux esperer faire de la marche en montagne, dieu merci. Le titre de cette chronique est le nom  d'un jus delicieux a base d'ananas, de gingembre et de coriandre fraiche, mais decrit aussi mon emerveillement renouvele d'etre en Asie!

Un glissement de terrain du a une forte averse a enseveli cinq vehicules et fait une douzaine de morts. J'ai commence un recueil de nouvelles de Manjushree Thapa, tres bien ecrit; feuillete "Smile, you're travelling" par Henry Rollins, assez poseur merci: non seulement il ne peut ecrire trois lignes sans dire fuck ou shit, mais en plus son periple en Afrique se deroule a une vitesse ridicule; il y passe dix jours et se sent aventurier. Il y a cependant une citation de lui que j'apprecie: "The american is born dysfunctional and must fight his way out just to be normal." Quelques jours plus tard, je me delecte d'un bouquin-fleuve de Luis Alberto Urrea, "Hummingbird's daughter", fresque coloree brodee autour d'une sainte mexicaine ayant vraiment existe.

Je retourne dans les entrailles de Katmandu afin de me rendre au bureau d'immigration. Je remplis ma demande et au bout de deux petites heures, j'ai en main une extension de deux semaines pour mon visa.
Je croise ensuite une grande blonde fort sympathique: Elea, Francaise fraichement debarquee de l'avion. Le contact est immediat, simple et la conversation coule de source. Nous croisons une manif, visitons Durbar Square et avons le chance d'apercevoir furtivement la Kumari,  jeune deesse vivante  qui a l'air de s'emmerder royalement dans ses habits d'apparat.

 Le soir venu, nous allons ecluser quelques bieres au Funky Buddha, puis passons a un autre bar abritant des musiciens jouant bien sur de vieux succes. Enfin, nous vivons une experience culturelle etonnante dans un drole de club ou la biere  hors de prix est servie par des hotesses (assez sexy selon les standards nepalais) qui offrent jasette et grands sourires afin d'inciter les hommes a boire et ou personne ne danse-hormis des pros qui nous infligent des choregraphies allant de la romance sirupeuse au hip-hop en passant par les tremulations bolywoodiennes... mieux vaut en rire! Nous rentrons a 11h:  la grille d'entree de l'hotel est fermee a cle, je dois reveiller le portier.

Le lendemain, jour de detente: je vais flemmarder au Dream Garden, superbe endroit de verdure et bassins d'eau ou l'on peut s'allonger mollement sur l'herbe, enfonce dans  des coussins en degustant un expresso a prix d'or. Je me balade ensuite autour de la vieille ville et nous retournons, Elea et moi, au Funky Buddha car c'est la soiree transe, avec un DJ et oui, les gens dansent, enfin! Je rencontre Sjoerd, un grand Hollandais souriant au nom impossible a prononcer, qui est interesse lui aussi a faire le trek de Poonhill. Je m'eclate a tournoyer, pieds nus dans le jardin, puis a 22h nous passons au Reggae Bar, ou une foule animee boit, fume a la chaine et se tortille en ecoutant le band live rendre energiquement les memes sempiternels vieux tubes. Jimmy, le proprio des lieux, nous paie une biere; nous placotons avec des gars de Mumbai. On ne rentre pas trop tard,  ma copine se levant a l'aube pour son saut en bungee. (Cette fois, je file un pourboire au portier de l'hotel.)

Le lendemain, je pars en compagnie d'Elea et Dinesh pour Pokhara, decouvre le Namaste Lodge, avec une terrasse donnant une superbe vue sur le lac. Le soir, dans un resto familial, croyez-le ou non:  ca a pris plus d'une heure trente pour etre servis, j'avais l'estomac gargouillant de protestation! Je vais au Blues bar faire un rapide coucou a la tribu; Greg et Harsh quittent le lendemain, Nico est ravi de me voir mais pas surpris (il avait eu l'intuition qu'il me croiserait le jour meme) et dodo tot, le trajet de bus m'a fatiguee.

Le lendemain, je marche avec Nico et Elea jusqu'au chutes de Devi, belle promenade sous le soleil.  Sjoerd nous rejoint en fin de journee et nous filons en vitesse, juste avant que les bureaux ne ferment, prendre les deux permis necessaires pour entrer dans la zone de conservation de l'Annapurna, deuxieme sommet le plus haut de la chaine de l'Hymalaya; il y a de l'excitation dans l'air!

Le neuf octobre au matin, nous prenons un taxi jusqu'a Nayapul, dejeunons sur place puis entamons notre premiere journee de trek. Nous grimpons de nombreuses marches en pierre, croisons des mulets, cotoyons des rizieres d'un vert quasi aveuglant;  le paysage est magnifique et le ciel est bleu, la temperature un peu chaude en plein soleil mais je suis aux anges. Nous arrivons a Ghandruk vers 15h30, ce fut plus facile que je l'anticipais, mais pour Sjoerd (qui fume abondamment) c'est l'inverse. Notre hotel est une magnifique vieille maison rurale en bois tres bien tenue, bien plus classe que ce que j'imaginais.

 Reveillee a l'aube, j'assiste au lever du soleil: la vue est degagee, je me sens toute proche des sommets  enneiges, c'est epoustouflant! Depart vers 7h30, le debut du trajet est a l'ombre et longe de nombreux ruisseaux. Sjoerd a d'enormes ampoules et traine un peu la patte. Je dois me freiner et perds mon rythme a cause des nombreuse pauses, mais j'ai bon  moral. Une foret enchantee a la Tolkien, remplie de lianes, d'arbres biscornus et de rhododendrons me donne l'impression qu'un troll ou une sorciere va surgir de derriere un gros rocher! Apercu quelques singes. Arret a Tarapani pour diner d'un consistant dhal bat (riz et lentilles) et arrivee a Banthati vers 14h30, a 2660 metres d'altitude. Nous avons croise beaucoup de monde sur le sentier.  Dinesh avait dit que ce serait le jour le plus difficile mais je crois qu' il nous menage psychologiquement (en nous disant que ca prendra sept heures quand ca en prend quatre ou cinq), resultat on est tout contents quand on arrive a destination!

A ce nouvel hotel, un sympathique et extraverti Coreen implique dans des projets humanitaires nous fait bien rire car il s'exclame sans cesse d'une voix tonitruante, a des opinions tranchees sur tout et deborde de bonhomie et de vitalite. Ca discute ferme de spiritualite autour de la table. Apres le souper, nous avons droit a une petite demonstration de danse locale accompagnee de chants et tambours, nous dansons quelque peu, c'est fort joyeux ma foi! Il fait un peu froid la nuit venue, nous buvons un peu de vodka pour nous rechauffer.

Helas mon voisin de chambre ronfle ardemment, je n'ai dormi que cinq heures et je me sens fripee et grognonne le lendemain matin. Le soleil nous sourit a nouveau, on voit le sommet Annapurna sud. Aujoud'hui, on va descendre puis remonter, pour un total de 3300 metres de denivele! Pas trop dur mais je me sens faible car le diner ne vient que vers 15h30, je me sens impatiente tellement j'ai faim. Delicieux curry de chanterelles, mioum!  Apres, j'ai les joues en feu, je me sens fievreuse; en buvant beaucoup d'eau chaude, curieusement mon etat s'ameliore mais je remarque aussi que j'ai des plaques de peau tres seche sur les mains et sur les jambes, une rougeur irritee qui evoque soit l'eczema ou la dermatite. Dinesh croit que c'est du au changement de temperature mais j'en doute.

Quoiqu'il en soit, nous voila a Ghorepani, au Superview Lodge qui merite bien son nom. C'est tout simplement grandiose! Modeste chalet aux  murs en carton ou il regne une atmosphere conviviale. Je rencontre un couple de Quebec, c'est plaisant d'echanger en se rechauffant autour du poele (fait d'un simple baril). On se couche tot et je supplie pour changer de chambre avec notre guide, alors je dors dans un petit reduit qui sert a entreposer les couvertures mais je DORS, o merveille!

Le lendemain, le reveil qui sonne a quatre heure est un petit defi en soi: s'habiller puis commencer a marcher dans le noir, a la file indienne avec les autres, armes de lampes de poches  pour escalader Poonhill, soit l'apotheose de ce trek. Les lueurs de l'aube se pointent, melangeant les couleurs dans la palette du ciel, puis...ta-dam! Voici le moment tant attendu du lever de soleil et ca valait vraiment le coup! Pour la premiere fois de ce voyage j'ai franchement froid aux extremites et me rechauffe les doigts sur un verre de the. Une horde de pres de deux cents touristes papote et prend moultes photos eblouissantes des sommets coiffes de blanc. Nous demeurons sur place jusqu'a huit heures,goutant un moment de silence car tout le monde est redescendu pour le petit dejeuner et rencontrons Natalia, une Ukrainienne qui vit en voyage depuis sept ans.

Cette journee est une gaterie, un repos. Sjoerd fait la sieste, je me balade toute seule dans le tres petit village; tentative avortee d'aller sur internet. Je bois une biere assise toute seule dehors, comme dans le temps ou j'allais sur les plaines a l'adolescence avec ma bouteille de rhum ecouter Depeche Mode dans mon walkman a cassette!!!  Un coq chante, les villageois vaquent a leurs taches, travaillant lentement mais sans relache. Je me sens tres relaxe, un peu feeling et portee a commencer a faire un bilan de mon voyage. Hum, je ne pense pas etre devenue une personne plus sage, plus eclairee; je suis encore souvent tres reactive, impatiente, habitee de doutes et de jugements...bref j'ai bien du chemin a parcourir encore! J'aimerais avoir plus de foi en moi et dans la vie. Ai-je trop ete dans le faire, dans l'amusement de la decouverte et de la nouveaute? J'aurai besoin de temps au retour pour decanter. Quand je relis mon journal ou que je revois mes photos, je suis etourdie par l'intensite et la densite de ces derniers mois. Oui, je n'ai pas fini de digerer tout cela!

Parenthese : en nepalais le mont Everest se nomme Sagarmatha, qui signifie mere de toutes les deesses!
Apres une longue nuit reparatrice, depart a jeun vers sept heures, going down, down, down!  Maintenant c'est Sjoerd le plus rapide; avec ses grandes jambes il est devant et deboule les marches deux par deux. Sur son baton de marche geant se trouve un morceau de bois enroule en spirale, que tout le monde scrute pour verifier s'il s'agit d'un serpent, c'est le running gag de la journee! Petit dej. copieux de Rosti au fromage et, coup de chance pour moi, la proprio du restaurant masse son adorable bebe de trois mois au  soleil; c'est une tradition  ici comme en Inde de masser les enfants tres regulierement; elle me permet de prendre des photos. On arrive a Hille pas trop tard et juste avant un orage de pluie intense. Le gite est tenu par une famille tres chaleureuse, je me retrouve dans la cuisine a regarder la femme preparer le repas et je joue avec son petit garcon de deux ans. Un Israelien nous montre un jeu de carte ou il faut mentir, on rigole bien.

Depart en ce dernier jour vers 9h30, pas besoin de se presser puisqu'avant midi, nous sommes attables a Birethanti, au bord de la riviere, la boucle est bouclee...deja! Nous voyons une manifestations d'enfants avec des pancartes exhortant leurs parents a cesser de boire, de fumer et de parier afin de leur assurer un meilleur avenir! C'est touchant. Encore un peu de marche jusqu'au taxi et retour a Pokhara.  Par hasard, je croise Cathy sur la rue, cette charmante femme avec laquelle j'avais fait le trajet de Rishikesh jusqu'ici! Nous allons souper tous ensemble, avec un Sjoerd rase de frais, une Elea qui s'est inquietee car nous avons rallonge le trek d'une journee et un Quebecois cool nomme Francois, qui a etudie en tourisme d'aventure et se paie comme moi une sabbatique (il a passe son ete d'avant au Yukon pour faire des sous rapidement).

Le premier bar est un repaire avec hotesses et danses quetaines, oups! Nous sifflons nos bieres rapidement. Le second endroit ressemble a une boum, avec deux cent gars de 14 a 20 ans et environ dix filles.. et des tubes dance des annees 90 comme il se doit, bref full testosterone et assez hilarant dans l'ensemble. Ca ferme a 11h helas, on a tout juste le temps de s'echauffer que c'est fini!  On se refugie au Busy Bee et la, on peut continuer la discussion jusqu'a deux heures du matin en grignotant frites et pizza...C'est le night life a Pokhara!

Apres une courte nuit, loooong trajet de bus de plus de huit heures pour revenir a Katmandu.  L'hotel que je voulais est plein mais je croise un British que j'avais deja vu et il accepte de partager sa chambre a deux lits avec moi. (J'ai chaud et pas envie de chercher ailleurs). Dinesh accompagne Elea a Bhaktapur. Nombreuses coupures d'electricite ce soir-la, je prend une douche froide a l'eau sulfureuse et avec une petite ampoule qui clignote, wow! Je m'apercois que je suis rendue avec une quantite monstrueuse de bagage, je me decide a jeter et donner quelques objets. Je suis contente de retrouver mon tapis de yoga et je magasine un billet d'avion pour Jakarta sur internet: c'est un peu long et plus cher que prevu, je regarde mes finances et je sens mon mental agite et dissipe; je pense beaucoup au retour et aux milles choses a faire  et ca me stresse...

Le 16 octobre commence Dasain, une fete religieuse hindoue qui commemore la victoire de Durga sur un demon,  ou traditionnellement l'on egorge de nombreux animaux en sacrifice pour se gagner les faveurs des divinites ou eloigner les mauvais esprits, ce qui est desaprouve par les gens des classes sociales plus aisees.
Certaines personnes adorent ce festival, qui permet aux gens d'avoir des conges et de se retrouver en famille, mais d'autres detestent le cortege d'obligations que cela entraine: paraitre heureux et souriant a tout prix, faire de couteuses receptions, acheter de nouveaux vetements et des cadeaux, bref un peu comme Noel chez nous! Et attention: quiconque tente de s'y soustraire risque le chantage emotionnel de papa ou maman!

Aujourd'hui, j'ai vu trois enfants rire a gorge deployee en pourchassant des pigeons sur la place.
"Ne suffit-il pas du rire d'un enfant pour que le present devienne un absolu?"
   -Olivier Germain-Thomas











mardi 2 octobre 2012

Dancing in the Land of Glory

A la lumiere de ce que j'ai ecrit la derniere fois, vous vous doutez que je suis touchee, parfois bouleversee par ce que j'observe en voyage. Je me sens parfois bien impuissante, avec seulement mon coeur ouvert mais rien dans les mains pour amener des solutions concretes. (L'equanimite n'est pas encore acquise, loin de la!) Je souhaite ardemment trouver un jour ma propre facon de contribuer a ameliorer la condition de la femme dans le monde (de tous les humains en fait; helas les femmes semblent souvent au premier rang des demunis).

Le 21 septembre, je me rends a Patan, alias Lalitpur, qui signifie: ville de beaute. L'endroit merite le detour, c'est vraiment unique au monde: imaginez de deambuler dans un vaste musee a ciel ouvert; pas moins de 1200 monuments bouddhistes vous attendent sur la place principale ou au detour des ruelles. Reellement impressionnant et plus agreable que le centre-ville de Katmandu, a quelques kilometres de la.

Depuis que j'ai quitte Pokhara, je suis a nouveau envelopee de la patience du soleil, qui rechauffe quotidiennement la masse fourmillante d'humanite qui s'affaire dans la cite historique. Je deambule, croque moult cliches, mange une enieme assiette de momos puis me dirige vers le terrain de football, qui accueille le festival de musique, une organisation a but non-lucratif qui a pour but de rapprocher les gens par le biais de la musique et de promouvoir la paix et le progres, noble objectif s'il en est. J'arrive vers 13h, a temps pour entendre le premier groupe invite; ce sont des Indiens qui jouent divinement, de vrais pros!  Planant, comme d'habitude lorsque tabla, sitar et talent sont reunis.

Je lie conversation avec Elena, une Allemande etudiant la medecine qui fait du benevolat ici pour quelques mois, ainsi qu'avec une bande de jeunes qui ont contribue a l'organisation de la fete: le contact est immediat, chaleureux et decontracte. Le groupe suivant, 1001 Ways, vient de la Suisse et est afflige d'un leader excentrique, chapeau jaune et moustache a rallonge, qui pour honorable violoniste qu'il soit demeure un mediocre- voire penible- vocaliste, mais son enthousiasme bon enfant fait qu'il est impossible de le hair! Suivra Soulset du Danemark, correct.  Tumbleweed, tendance metal, me laisse de marbre. Playing for change, un choeur d'enfants, met une touche de fraicheur bienvenue sous le soleil torride. Les gens d'ici ont trouve un slogan national accrocheur: Never Ending Peace And Love; ils sont fiers et ils ont bien raison.

 Robin and the Revolution fut mon groupe favori; coup de coeur pour ce grand slack de rocker, sorte de Max Headroom nepalais avec des allures de David Bowie...Ca "swingait" dans l'assistance. Cobweb etait pas mal, Astha Tamang, une jeune recrue vivant a Toronto, avait de la fougue a defaut d'une grande voix et 1974 AD ne m'a pas conquise mais a induit une espece de transe collective dans l'assistance: tout le monde sautait et chantait a pleins poumons, ce qui en fin de compte valait le spectacle! Un groupe de gringalets de quatorze ans faisait du slam nu torse pour se montrer viril, ce qui etait plus mignon qu'autre chose...Le show s'est termine tot.  Vers 21h, je rentre contente, les pieds un peu en compote; la journee a ete longue.

Le lendemain, je file a moto visiter le village de Bungamati, tres traditionnel et rural. C'est un patelin newari, l'une des 36 langues et castes du Nepal. Je vois les gens affaires a toutes sortes de taches manuelles: filer la laine, tisser, trier le grain, trimballer des paquets de foin, affuter les serpes, donner le bain au bebe en pleine rue, faire du vin de riz (bagosse locale pour s'enivrer a peu de frais), etc. Lilendra, mon guide, a 30 ans et deja 16 ans d'experience dans son domaine. Il a ete grandement aide par un bon Jack de Vancouver qui l'a pris en affection et est devenu son deuxieme pere (le premier ayant deserte), le visitant a chaque annee et payant pour son education. Il a maintenant le projet d'aller vivre quelques annees dans l'ouest canadien.

 Le soir, il est invite a un party de fiancailles; j'espere l'accompagner mais malgre ma candide tentative pour faire le brin d'herbe (merci Genou) il me dit que c'est assez formel et qu'il ne peut prendre la liberte de m'inviter. Dommage.  Ce soir-la je m'emmerde et me refugie dans la lecture d'un roman de John Irving qui se passe en partie aux US et au Canada, dans un camp de draveurs. Je realise soudain que ce mot derive de "river driver", ce que j'ignorais,  je trouve ca beau. Ce n'est pas son meilleur bouquin mais comme d'habitude on ne s'ennuie pas et on y retrouve tous les themes qui lui sont chers: amitie, amour incestueux, alcoolisme, personnages decales et marginaux, tendresse, solitude, mort (avec l'inevitable apparition d'un ours, reel ou imaginaire); bref comment survivre en ce 21e siecle qui part en couille?

Le lendemain matin, manque de sommeil oblige, je broie du noir, je me sens moche et perdue. J'ai reve que j'etais de retour a Quebec et que je ne retrouvais plus mon velo ni mon cellulaire, que tout tournait carre. Ai-je peur de ne pas savoir renouer avec mon monde? Puis vinrent les questions existentielles: devrais-je me caser et faire un bebe (cafe au lait de preference) ou rester a jamais nomade et sans attaches? Ou est le plus grand defi? Pour moi, sans aucun doute, la vie de couple stable est plus difficile que la vie de boheme, c'est evident. Mais dois-je aller vers ce qui est facile et coule de source ou au contraire vers ce qui me "challenge" le plus? La vie n'est pas a ce point binaire, je le sais bien... j'angoisse un peu a l'idee que precisement vu ma position privilegiee TOUT est possible, c'est incroyable!

 Je peux me lancer en musique, faire un mariage arrange, m'exiler, prendre des amants en serie, mais qu'est-ce qui a du sens au juste pour moi? Help! Des fois je ne suis plus sure de rien! Je veux bien prendre de nouveaux departs mais avec les pieds sur terre, ancree dans le reel. C'est dingue d'avoir autant de liberte et de ne savoir qu'en faire. C'est certain que je veux contribuer au bien-etre d'autrui, faire partie d'une collectivite humaine. Quand je vois des jeunes ici qui ont zero possibilite de se demander ce qu'ils veulent je me sens presque coupable. Ils ne font que fonctionner, survivre, aider leur famille elargie, avec le sourire et sans se regarder le nombril; c'est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre. Je me prends une bonne douche froide et me secoue de ma torpeur. "After all, what is wrong with black sheeps-don't people wear black sweaters?"

Je me deplace ensuite a Bakhtapur, plus petite que Patan, au centre pietonnier; ville  hors du temps qui abrite des artisans dont le savoir-faire remonte a des siecles (potiers, tisserands, peintres, sculpteurs), situe sur l'ancienne route de commerce avec le Tibet. C'est moins grandiose que Lalitpur mais ca respire a un rythme autrement plus paisible. Toutes les boutiques ferment a 19h ou 20h et les rues ne sont pas eclairees; pas le choix d'etre couche-tot! Des mon arrivee, des guides en t-shirt roses tentent de me mettre le grappin dessus (l'un d'eux, parlant un italien parfait, veut me donner un massage!) mais je decline car j'ai envie de deambuler par moi-meme dans le dedale de petites rues etroites. Je m'impregne de cette douce tranquilite.

Je vois des artistes en train de realiser des tangkas, peintures sur tissu qui representent des scenes sacrees pour les bouddhistes (Bouddha, Tara, Mandalas, etc). Je sympathise avec un mec rigolo, un musicien qui vient de Mongolie et qui vit en Chine; on s'est rencontre dans un magasin de musique ou j'ai improvise une petite danse, a la joie des deux commis. Nous avons pris une bouchee dans un resto et nous sommes dit adieu avec le sourire,avec legerete. J'ecris quelques cartes postales, j'espere qu'elles se rendront. J'essaie de lire John Steinbeck (To a God Unknown) mais c'est deprimant, ca me tombe des mains! Je trouve Trois femmes puissantes, de Marie Ndyaye; ecriture elegante et personnages dignes mais sujet tres dur et en fin de compte, demoralisant egalement.

Au petit matin, en faisant mon yoga sur le toit, je vois un aigle planer et le fou du village faire son jogging avec des gesticulations comiques. Parfois, j'apercois des dizaines d'hirondelles voleter et faire des piques, sans doute pour attraper des insectes. Il y a la bande de pigeons qui roucoulent et les corbaux qui coassent comme une vieille porte qui grince, toute cette faune ajoute vie et mouvement a mes reveils. Je marche pendant deux heures pour voir les bassins d'eau, les monuments, les temples qui sentent le ghee et l'encens; je zigzague et prends plaisir a photographier de menues scenes de vie quotidienne: ecoliers qui se tiennent par le cou et femmes avec leur bebe dans le dos, memes qui tricotent en groupe, vendeurs a la criee et simples desoeuvres qui restent placidement assis a guetter le cours des choses.  Je goute le King curd, un yogourt tres epais et onctueux qui bouche un coin, me paye le luxe d'un cappucino glace, la vie est douce quand on a des roupies...Un ado arbore un t-shirt qui dit: I am not perfect but I am limited edition. Je regarde le soleil se coucher de la terrasse, une biere a la main: merci pour une autre journee de bon temps! Quelle chance, vraiment, d'etre vivante et d'avoir du temps libre. 

Je n'essayais pas de decrocher la lune, seulement de la photographier, quand soudain j'ai entendu des clameurs de fanfare, tambours et cymbales. Je descends voir ce dont il retourne et je tombe sur une procession d'environ deux cents personnes dont certains transportent un palanquin de tissu rouge qui represente Indra, le dieu de la pluie. Des gamins dansent, des femmes et des enfants portent des batons d'encens et des hommes de tout age tapent fievreusement sur leurs percussions.  Le gros de la fete cependant se deroule a Katmandu, ou la Kumari, la deesse vivante (une enfant prepubere identifiee comme la reincarnation de la deesse Taleju) apparait a la foule en liesse, montee sur un chariot dans ses habits d'apparat. Son regne se terminera lors de ses premieres regles, bien sur, moment ou elle deviendra "impure".
Apres quelques jours, il y aura sacrifices d'animaux pour assurer la fertilite des recoltes.

Je prends un matin le bus pour Nagarkot, petit village perche en hauteur, ou je marche jusqu'a une tour qui offre un point de vue incomparable sur les environs. Ce jour-la neanmoins il fait un peu brumeux, impossible d'apercevoir les sommets enneiges au loin. Peu importe, je vais passer la un apres-midi magique. En effet, je placote avec Gelia, une Espagnole rigolote et hippie sur les bords qui, des la fin de ses etudes de medecine a file, nez au vent, pour une duree indefinie... Sur cette colline il y avait une reunion de trente ou quarante Tibetains, les femmes vetues de belles robes  et les hommes jouant de la musique. A un moment donne, la danse a commence: tous en cercle, ils chantaient et battaient la mesure avec leurs pieds, se deplacant comme en osmose. Les petits enfants riaient et couraient partout, j'ai eu mon dix minutes de succes avec eux lorsque je leur ai distribue des bonbons. Les tibetains nous ont offert un bout de fromage sec, que l'on suce comme une friandise et qui, peut-etre au bout d'une heure, ramollit assez pour qu'on puisse le manger, plutot aride!
Bref ils nous ont fait un bon accueil et ce fut emouvant d'etre temoin de leur petite fete intime. Dans le bus de retour, ma voisine me fait signe qu'elle a la nausee; je lui offre un chewing gum puisque la menthe peu aider, mais elle croit que c'est un medicament et l'avale tout rond! Probleme de communication.

Le lendemain, Gelia et moi marchons jusqu'a Changu Narayan, agreable trajet et beau temple ancien. Il faisait chaud sur la route mais ca valait le coup. Nous lions connaissance avec Dinesh et Sujan, deux etudiants qui travaillent aussi comme guides. (Un boulot d'etudiant rapporte entre 50$ et 75$ par mois).
Je decide d'aller a Namo Buddha, lieu qui parait edenique, avec Dinesh, marche conclu!

Le lendemain, j'entends a nouveau de la musique dans la rue et me precipite pour voir des jeunes en costume traditionnel qui jouent fierement tandis qu'un homme masque danse, incarnant ce qui semble etre un demon, dans le cadre de la journee du tourisme. Decidement, il y a de l'action dans le coin! Mon ami le guide est en retard mais pour cause: il y a eu un ecrasement d'avion qui a perturbe la circulation, dans lequel helas sept Nepalais et douze touristes ont peri.

Nous prenons le bus jusqu'a Dhulikhel, puis nous mettons en route: d'abord il faut grimper mille marches, nous admirons au passage un immense bouddha dore, puis prenons un petit sentier qui serpente entre les fermes et offre une vue imprenable et idyllique sur les montagnes environnantes. Un chien hargneux grogne et nous suit cinq minutes, autrement tout est paisible. Nous prenons une collation de concombre avec du sel et du piment, puis apres trois heures arrivons au monastere, colore et intact car recent. Les trompettes et les cymbales rituelles resonnent, tout un accueil! L'orage se declare juste comme nous arrivons. Le soir, la lune semble pleine et la vue est renouvelee, magique.

Leves tot, nous esperions mediter mais la seance est annulee car les jeunes moines doivent pratiquer une danse qu'ils executeront dans le cadre d'une celebration speciale. Quelle chance! Pendant une heure, nous les regardons avec une curiosite avide: certains sont gracieux et agiles, certains pleins de vigueur quoique manquant de coordination, d'autres carrement empotes mais tous arborent un franc sourire et rient, ca fait chaud au coeur de les voir s'amuser. Le petit dejeuner est insolite: on nous sert de la farine maltee qui, combinee a un peu de beurre, de sucre et d'eau chaude, donne une mixture epaisse et collante (a la consistance semblable a du beurre d'arachide) et c'est la tout ce que nous aurons a nous mettre sous la dent, assez austere comme regime. A ma grande surprise le refectoire est bruyant et anime, j'aurais cru qu'ils mangent en silence mais ce n'est pas le cas. Il y a des enfants, des adolescents et des adultes parmi les moines.

Sur le chemin du retour, Dinesh m'apprend quelques mots de nepalais ainsi que la chanson typique que l'on entonne quand on marche en montagne  (Ressam Firiri) et me dit que ma voix est un don de dieu, que je devrais vraiment please continuer a chanter! Je lui apprends quelques mots de francais. Nous attendons longtemps un bus qui ne vient pas, alors il decide de monter dans la boite d'un camion qui transporte une citerne de lait qui n'est pas etanche; resultat nous sommes debout, nez au vent ce qui est agreable mais les orteils trempent dans une petite flaque de lait qui se deplace avec les virages! En fin de journee, nous jouons au cartes avec un de ses amis et goutons un peu de Chiang, version douce de bagosse qui n'enivre pas tellement. (Il existe une version plus dure, le Roxy, alcool fort que je ne tiens pas a essayer.)

En jasant, je constate qu'ici, les gens pauvres sont minces et les gens a l'aise sont plus ronds, donc ce sont les courbes qui ont la cote, l'oppose de chez nous quoi, ce qui me donne l'idee loufoque de creer une agence de rencontre : The wings of love, ou le but avoue est d'agencer des occidentales rondes avec de minces et fringants Nepalais. On deconne un peu la-dessus, mais il y aurait preneur car ici, un mariage arrange coute tres cher, alors meme s'ils devaient payer, certains seraient partant pour la blancheur exotique...he he!

Le lendemain, je reprends le bus pour Changu et cette fois c'est l'ami de Dinesh, dont l'anglais est plus laborieux, qui m'emmene promener du cote de Sankhu.  Encore un chemin enchanteur a travers champs puis le long d'une riviere et enfin dans la jungle, comme il dit. Quoique ce n'est pas tres touffu, c'est quand meme vrai qu'a quelques kilometres de la on peut parfois apercevoir des betes sauvages (lions et autres) dans la foret! Rendus au village, il faut encore se taper de nombreuses marches pour aboutir au monkey temple (encore un) et la chaleur me tourne un peu la tete. Nous mangeons...eh oui, des momos kothey (frits a la poele apres avoir ete cuits a la vapeur) fort savoureux. Retour par un autre itineraire, pont suspendu, villageoises dans les champs m'offrant de partager leur repas, rires, c'est genereux de leur part! Je me tords les chevilles car je suis en gougounes, mes bonnes chaussures etant restees a Katmandu avec mon gros sac a dos. Rien de grave mais c'est un peu sensible.

Le lendemain, jour mollo: Dinesh qui m'aime bien et qui a du temps entre deux semestres d'universite, m'offre d'aller au cinema. Suite a une decision des maoistes, les films indiens sont pour le moment bannis de l'affiche, on doit donc se taper un navet local sincerement navrant! C'est trooop quetaine pour etre vrai, trop cliche, trop mal joue et avec trop de longueurs, decidement indigeste....Il est desole car lui aussi prefere les bons vieux films de Bollywood, previsibles mais ficeles avec un minimum de savoir-faire.

 Dans la salle de bains, je fais une vilaine chute car les tuiles sont mouillees et vlan! Je me cogne durement la malleole et ca enfle a vue d'oeil. Je mets de la glace dessus et ca ne parait pas si terrible, je peux marcher. Je prends un bus pour aller a Bodnath, aussi appele Bodha, ou un immense stupa est le centre d'attraction des pelerins bouddhistes qui tournent autour en faisant leurs prieres. C'est un endroit sympa, pas stressant mais moins beau que je me l'etais imagine. Le soir, malgre que j'aie applique plusieurs fois de la glace et pris de l'arnica, ma cheville a empire au point ou je boite et ne peux pas mettre beaucoup de poids dessus. C'est moche, moi qui voulait, qui esperait faire un trek dans une semaine, j'ignore si ca guerira assez vite pour ca. Coup de chance, j'ai des anti-inflammatoires avec moi, je me bande la cheville et la mets sur une montagne d'oreillers et je dors bien malgre tout.

Cette mesaventure, c'etait hier et ce matin ca allait deja mieux. Je suis restee tranquille et j'en ai profite pour mettre a jour mon blog, alors voila, toute chose a un bon cote au moins...Je n'ai rien de brise, donc pas besoin a mon avis d'aller a l'hopital mais je dois moderer mes transports! Pas de marche ni de yoga pour quelques jours.  Deja le mois d'octobre, le temps file. Demain, j'ai comme projet de me rendre a Katmandu pour demander une extension de mon visa, qui se termine le 9, de sorte que je puisse assister au debut du festival de Dasain le 16,  la plus importante fete hindoue qui s'etire je crois sur deux semaines. Ensuite, je me teleporterai a Java pour le dernier droit de ce voyage...

"La vie ne nous dit pas,
 de toutes nos heures,
 laquelle nous donnera
 notre visage d'eternite."

Olivier Germain-Thomas









The Machinery of Skeletons

"You scream in a straight jacket that you're losing the game of the actual pingpong of the abyss."
   Hommage en passant a Ginsberg, dont le court recueil  Howl m'est tombe entre les mains a Katmandu.

Il s'en est passe des choses -et pas toutes racontables- depuis ma derniere visite sur ce blog. D'ou le titre, d'ailleurs (emprunt a G) car, que voulez-vous, il faut bien que la chair exulte et puis les squelettes ont leurs raisons que la raison ignore... Je me suis donc devergondee un brin: j'ai fraternise avec la tribu, j'ai passe des nuits blanches, j'ai un peu bu, j'ai danse, j'ai chante, bref je me suis lachee, le point focal de tous ces evenements etant ce cher Old Blues Bar: qu'aurions-nous fait sans son "staff" amical et ses heures de fermeture aleatoires, je vous le demande?

 Normalement, ca se termine a dix ou onze heures et basta! Tout devient sombre et silencieux a Pokhara. Mais nous etions dans notre bulle festive et j'en ai bien profite. Une nuit en particulier fut memorable: il y avait plus de monde que d'habitude, plus de filles aussi et une energie frenetique s'est empare de certains; ca flirtait a qui mieux mieux. Deux profs de danse ont entrepris a tour de role de m'apprendre des pas de plus en plus complexes et je me suis amusee comme une folle. Un des gars, tres malade, a vomi dans un seau, ca sentait  l'adolescence. Nous sommes partis alors que le soleil se levait. J'ai dormi quatre heures puis j'ai religieusement fait ma seance de yoga, comme d'habitude, suivi d'un solide petit dejeuner avec une vraie baguette francaise croustillante et du fromage suisse, un rare delice!

Un jour je pars seule a velo visiter la vieille ville, cette partie non touristique ou l'architecture est remarquable: anciennes maison de briques ornees des fenetres de bois, parfois tres travaillees, petits commerces a la va comme je te pousse, femmes qui tricotent, gamins qui gambadent, vieillards qui causent, accroupis, devant les nombreux temples: il y regne une atmosphere doucement affairee qui emane d'une autre epoque. Je m'amuse a me perdre un peu; je viraille dans le coin de l'aeroport et je vois des gens tres pauvres, qui vivent de bric et de broc dans la salete, parmi leurs chevres et leurs poules. Je mets du temps a trouver le musee regional, cache dans un fond de cour et decevant finalement: mal entretenu et peu a voir. Le point culminant de ma ballade survient lorsque je me bute a la porte fermee d'un autre musee; j'entends de la musique a cote et je tombe en pleine repetition. Un groupe de jeunes hommes et jeunes femmes prepare en rigolant un spectacle de danse traditionnelle et j'assiste, ravie, a leurs evolutions gracieuses pendant plus d'une demi-heure, un moment memorable et joyeux. Je reviens contentee apres quatre heures de deambulation, une saine fatigue dans le corps.

J'attends, jour apres jour, que la pluie se calme pour envisager un trek, mais la mousson s'eternise, il pleut  parfois deux ou trois jours en continu. Un apres-midi, je vais visiter le village tibetain voisin a scooter avec Florion et son ami Nepalais. Une petite famille nous prepare des momos tout frais, puis nous filons vers Pate et Sarangkot, jusqu'a la tombee de la nuit. Nous avons vu des rizieres, un coin tres tranquille, puis avons marche au bord du lac, vu des centaines de lucioles et partage une biere dans un resto lounge. Florion a l'ambition d'ouvrir un gite au Cambodge avec sa mere, projet qui fait rever! Ensuite, par hasard, nous avons assiste a un spectacle de danse et de musique traditionnelle dans un restaurant, assez enthousiaste pour etre divertissant. Un autre moment agreable fut la visite d'un temple sur une ile: nous partagions un bateau a plusieurs et trois femmes tres droles n'arretaient pas de blaguer et de rire; bien qu'elles ne parlaient pas anglais, nous avons bien connecte! Le sourire qui vient du coeur est vraiment universel...

Le 17 septembre, il y a plein de policiers qui debarquent, car a l'occasion du Teej, un ministre vient en visite. Le Teej est une fete hindoue ou les epouses jeunent et prient pour la sante et la longevite de leurs epoux, puis revetent leur plus beau sari et dansent, font des offrandes et passent de bons moments en famille. Le tout pour rappeler que Parvati, afin de conquerir Shiva, a longuement prie et jeune...quel devouement. A ma connaissance, il n'existe pas de fete ou les hommes leur rendent la pareille! Dans les rues, un peu partout il y avait des rassemblements spontanes d'hommes jouant du tambour et de femmes jeunes et moins jeunes virevoltant avec beaucoup de plaisir. Sous une tente, de l'animation, plusieurs activites, de la musique live et toujours plus de danse: la, j'ai vecu un moment de communion magique avec une fillette d'environ deux ans. Elle s'est accrochee a moi et ne voulait plus me lacher. Avec sa petite bouille friponne et ses grands yeux bruns, elle m'a fait craquer! Nous avons danse ensemble pendant vingt minutes au moins avant que je m'eclipse pour rendre la petite puce a sa maman.


Le 20 septembre, je quitte Pokhara. Au revoir, la bande de joyeux drilles! C'est  correct, malgre un petit pincement, de passer a autre chose; je ne me sentirais pas bien si je marinais trop longtemps dans l'atmosphere enfumee d'un bar, si sympa soit-il. Deux heures apres le depart, il y a un probleme mecanique, nous devons attendre un autre autobus. Le paysage est magnifique, nous longeons une riviere, ce qui donne lieu a d'impressionnants panoramas. Nous mettons en tout  pres de neuf heures a parcourir deux cents kilometres. J'arrive donc a Katmandu un peu froissee et me pose dans un hotel pas cher, un peu a l'ecart du centre de la ruche. La salle de bain est de-gueu-lasse mais je m'en accomode. Je deambule dans Thamel, LE ghetto touristique, constat: c'est moche, pas charmant du tout. Je me refugie au Funky Bouddha, un joli resto-bar niche dans un jardin, je profite du happy hour et grignote des momos (je vais devenir accro). Le serveur m'appelle "Didi", terme a la fois affectueux et respectueux qui signifie: soeur ainee...j'aime bien. Ce soir-la, je me sens un peu seulette, j'aurais envie de compagnie, ne serait-ce que lier conversation avec une autre voyageuse pour une heure, mais ca ne se presente pas. Tant pis! 

Petite parenthese culinaire: les gens ici mangent du dahl bat deux fois par jour, soit du riz accompagne de lentilles savoureuses (ail, gingembre et coriandre). Ceux qui en ont les moyens raffolent de la viande, ils mangent du poulet, de la chevre, du sanglier et surtout du buffle. Toutes les parties de l'animal seront utilisees, incluant la cervelle, les poumons, le sang, la moelle epiniere, la rate, les os... alouette! Une des specialites est le steak cru avec la peau encore attachee (hum, pas mon departement, mettons).

J'adore ce pays: les gens sont trop gentils, c'est presqu'inconcevable a quel point ils font tout pour nous mettre a l'aise ou nous aider. Quand j'exprime ma gratitude, ils repondent : ah mais pour nous, un visiteur est comme un dieu, c'est a la fois un devoir et un honneur de bien vous traiter! Bien sur, il y a l'occasionnel chauffeur de taxi ou commercant malhonnete qui va me demander cinq ou dix fois le prix, mais bon, c'est l'exception a mon avis.  Ils semblent profondement honnetes et ce malgre qu'ils n'ont pas une vie facile. On peut aisement l'occulter car en surface ca ne parait pas tant que ca, mais le Nepal est un des pays les plus pauvres de la planete et se coltine son lot de miseres, dont le plus evident est le fleau politique.

Corruption, nepotisme, impunite des ministres, collusion, en veux-tu en v'la! Suffit d'ouvrir le journal pour avoir un debut de mal de tete, c'est un mauvais reve si ce n'est un franc cauchemar. Pour couronner le tout, ca ne fait pas longtemps que ce n'est plus une royaute et il semble que malgre des annees de discussions, les gens n'aient pas abouti a etablir une constitution claire et viable.  Apres s'etre vus pendant des siecles comme des sujets feodaux, les Nepalais commencent tout juste a se percevoir comme des citoyens et a protester pour defendre leurs droits.  Il y a enormement d'exclusion: les hommes dominent les femmes, les castes superieures dominent les Dalit (intouchables), la race caucasienne domine la race mongoloide, les hindous dominent les autres religions et les habitants des montagnes ceux des plaines! Quoiqu' abolies sur papier en 1963, les castes demeurent vivantes sur le terrain. Le taux d'analphabetisation est eleve.Certains jeunes pourtant doues n'ont pas les moyens de poursuivre leur education et doivent travailler.

L'an dernier il y eut 350 suicides repertories, chiffre sans doute partiel puisque bien des familles camouflent le tout en accident a cause de la stigmatisation sociale.  Triste! Un des gars que j'ai rencontre au bar portait un tatouage: Club 27. Je lui ai demande ce que ca signifiait, il m'a repondu: a 27 ans, je me tire une balle dans la tete...-Pardon? C'est une joke? -Non , non, j'ai 25 ans et dans deux ans, je me tue. Saisie de stupeur, je suis partie pleurer dans les toilettes. Puis, parce qu'il voulait que j'arrete il m'a dit que c'etait une blague mais je ne crois pas. Il m'a dit aussi: si je te contais toute ma vie,  tu aurais raison de verser des larmes.

Deux guides avec qui j'ai eu le temps de discuter plus en profondeur m'ont apres un certain temps confie que leur pere les a abandonnes pour aller fonder une famille ailleurs. Du jour au lendemain, plus aucun soutien financier, plus de nouvelles, ni explications ni excuses...et c'est a la femme et aux enfants plus vieux de se demerder pour survivre. Le tout dans un pays religieux au possible ou le divorce n'existe pas!  Ha, ha ha! Excuez-moi mais mon rire est amer.

L'avortement, legalise en 2007, entraine helas 50 000 foeticides feminins par an. Comme en Inde, a cause du patriarcat, les gens preferent avoir un fils. Meme des gens eduques tombent dans le panneau: un couple d'universitaires par exemple a fait les manchettes: monsieur a force madame a quatre avortements avant qu'elle se decide a le quitter. D'autres ont moins de chance: femme brulee au kerosene par son mari pour avoir accouche d'une fille, femme enceinte battue jusqu'a ce qu'elle perde le bebe. De plus, certains docteurs font des echographies bidon: peu importe le sexe ils pretendent que c'est une femelle afin d'empocher le pognon....Plus bas que ca tu rampes sous terre! Seule l'education et un profond  changement de mentalite pourra modifier ce sombre tableau. Sur ce sujet qui me touche particulierement, Amartya Sen a fait une recherche poussee d'ou il ressort qu'il manquerait en tout (en Chine et en Asie du sud-est), tenez-vous bien, 100 MILLIONS de femmes. Oui, oui, je sais la realite depasse la fiction! C'est le monde dans lequel on vit.

Avant d'aller me restaurer, je vous offre un extrait de Song,
                  poeme d'Allen Ginsberg:

The weight of the world
          is love
Under the burden
        of solitude,
Under the burden
of dissatisfaction
       the weight,
the weight we carry
         is love

but we carry the weight
         wearily,
     and so must rest
    in the arms of love
          at last,
must rest in the arms of love.