A la lumiere de ce que j'ai ecrit la derniere fois, vous vous doutez que je suis touchee, parfois bouleversee par ce que j'observe en voyage. Je me sens parfois bien impuissante, avec seulement mon coeur ouvert mais rien dans les mains pour amener des solutions concretes. (L'equanimite n'est pas encore acquise, loin de la!) Je souhaite ardemment trouver un jour ma propre facon de contribuer a ameliorer la condition de la femme dans le monde (de tous les humains en fait; helas les femmes semblent souvent au premier rang des demunis).
Le 21 septembre, je me rends a Patan, alias Lalitpur, qui signifie: ville de beaute. L'endroit merite le detour, c'est vraiment unique au monde: imaginez de deambuler dans un vaste musee a ciel ouvert; pas moins de 1200 monuments bouddhistes vous attendent sur la place principale ou au detour des ruelles. Reellement impressionnant et plus agreable que le centre-ville de Katmandu, a quelques kilometres de la.
Depuis que j'ai quitte Pokhara, je suis a nouveau envelopee de la patience du soleil, qui rechauffe quotidiennement la masse fourmillante d'humanite qui s'affaire dans la cite historique. Je deambule, croque moult cliches, mange une enieme assiette de momos puis me dirige vers le terrain de football, qui accueille le festival de musique, une organisation a but non-lucratif qui a pour but de rapprocher les gens par le biais de la musique et de promouvoir la paix et le progres, noble objectif s'il en est. J'arrive vers 13h, a temps pour entendre le premier groupe invite; ce sont des Indiens qui jouent divinement, de vrais pros! Planant, comme d'habitude lorsque tabla, sitar et talent sont reunis.
Je lie conversation avec Elena, une Allemande etudiant la medecine qui fait du benevolat ici pour quelques mois, ainsi qu'avec une bande de jeunes qui ont contribue a l'organisation de la fete: le contact est immediat, chaleureux et decontracte. Le groupe suivant, 1001 Ways, vient de la Suisse et est afflige d'un leader excentrique, chapeau jaune et moustache a rallonge, qui pour honorable violoniste qu'il soit demeure un mediocre- voire penible- vocaliste, mais son enthousiasme bon enfant fait qu'il est impossible de le hair! Suivra Soulset du Danemark, correct. Tumbleweed, tendance metal, me laisse de marbre. Playing for change, un choeur d'enfants, met une touche de fraicheur bienvenue sous le soleil torride. Les gens d'ici ont trouve un slogan national accrocheur: Never Ending Peace And Love; ils sont fiers et ils ont bien raison.
Robin and the Revolution fut mon groupe favori; coup de coeur pour ce grand slack de rocker, sorte de Max Headroom nepalais avec des allures de David Bowie...Ca "swingait" dans l'assistance. Cobweb etait pas mal, Astha Tamang, une jeune recrue vivant a Toronto, avait de la fougue a defaut d'une grande voix et 1974 AD ne m'a pas conquise mais a induit une espece de transe collective dans l'assistance: tout le monde sautait et chantait a pleins poumons, ce qui en fin de compte valait le spectacle! Un groupe de gringalets de quatorze ans faisait du slam nu torse pour se montrer viril, ce qui etait plus mignon qu'autre chose...Le show s'est termine tot. Vers 21h, je rentre contente, les pieds un peu en compote; la journee a ete longue.
Le lendemain, je file a moto visiter le village de Bungamati, tres traditionnel et rural. C'est un patelin newari, l'une des 36 langues et castes du Nepal. Je vois les gens affaires a toutes sortes de taches manuelles: filer la laine, tisser, trier le grain, trimballer des paquets de foin, affuter les serpes, donner le bain au bebe en pleine rue, faire du vin de riz (bagosse locale pour s'enivrer a peu de frais), etc. Lilendra, mon guide, a 30 ans et deja 16 ans d'experience dans son domaine. Il a ete grandement aide par un bon Jack de Vancouver qui l'a pris en affection et est devenu son deuxieme pere (le premier ayant deserte), le visitant a chaque annee et payant pour son education. Il a maintenant le projet d'aller vivre quelques annees dans l'ouest canadien.
Le soir, il est invite a un party de fiancailles; j'espere l'accompagner mais malgre ma candide tentative pour faire le brin d'herbe (merci Genou) il me dit que c'est assez formel et qu'il ne peut prendre la liberte de m'inviter. Dommage. Ce soir-la je m'emmerde et me refugie dans la lecture d'un roman de John Irving qui se passe en partie aux US et au Canada, dans un camp de draveurs. Je realise soudain que ce mot derive de "river driver", ce que j'ignorais, je trouve ca beau. Ce n'est pas son meilleur bouquin mais comme d'habitude on ne s'ennuie pas et on y retrouve tous les themes qui lui sont chers: amitie, amour incestueux, alcoolisme, personnages decales et marginaux, tendresse, solitude, mort (avec l'inevitable apparition d'un ours, reel ou imaginaire); bref comment survivre en ce 21e siecle qui part en couille?
Le lendemain matin, manque de sommeil oblige, je broie du noir, je me sens moche et perdue. J'ai reve que j'etais de retour a Quebec et que je ne retrouvais plus mon velo ni mon cellulaire, que tout tournait carre. Ai-je peur de ne pas savoir renouer avec mon monde? Puis vinrent les questions existentielles: devrais-je me caser et faire un bebe (cafe au lait de preference) ou rester a jamais nomade et sans attaches? Ou est le plus grand defi? Pour moi, sans aucun doute, la vie de couple stable est plus difficile que la vie de boheme, c'est evident. Mais dois-je aller vers ce qui est facile et coule de source ou au contraire vers ce qui me "challenge" le plus? La vie n'est pas a ce point binaire, je le sais bien... j'angoisse un peu a l'idee que precisement vu ma position privilegiee TOUT est possible, c'est incroyable!
Je peux me lancer en musique, faire un mariage arrange, m'exiler, prendre des amants en serie, mais qu'est-ce qui a du sens au juste pour moi? Help! Des fois je ne suis plus sure de rien! Je veux bien prendre de nouveaux departs mais avec les pieds sur terre, ancree dans le reel. C'est dingue d'avoir autant de liberte et de ne savoir qu'en faire. C'est certain que je veux contribuer au bien-etre d'autrui, faire partie d'une collectivite humaine. Quand je vois des jeunes ici qui ont zero possibilite de se demander ce qu'ils veulent je me sens presque coupable. Ils ne font que fonctionner, survivre, aider leur famille elargie, avec le sourire et sans se regarder le nombril; c'est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre. Je me prends une bonne douche froide et me secoue de ma torpeur. "After all, what is wrong with black sheeps-don't people wear black sweaters?"
Je me deplace ensuite a Bakhtapur, plus petite que Patan, au centre pietonnier; ville hors du temps qui abrite des artisans dont le savoir-faire remonte a des siecles (potiers, tisserands, peintres, sculpteurs), situe sur l'ancienne route de commerce avec le Tibet. C'est moins grandiose que Lalitpur mais ca respire a un rythme autrement plus paisible. Toutes les boutiques ferment a 19h ou 20h et les rues ne sont pas eclairees; pas le choix d'etre couche-tot! Des mon arrivee, des guides en t-shirt roses tentent de me mettre le grappin dessus (l'un d'eux, parlant un italien parfait, veut me donner un massage!) mais je decline car j'ai envie de deambuler par moi-meme dans le dedale de petites rues etroites. Je m'impregne de cette douce tranquilite.
Je vois des artistes en train de realiser des tangkas, peintures sur tissu qui representent des scenes sacrees pour les bouddhistes (Bouddha, Tara, Mandalas, etc). Je sympathise avec un mec rigolo, un musicien qui vient de Mongolie et qui vit en Chine; on s'est rencontre dans un magasin de musique ou j'ai improvise une petite danse, a la joie des deux commis. Nous avons pris une bouchee dans un resto et nous sommes dit adieu avec le sourire,avec legerete. J'ecris quelques cartes postales, j'espere qu'elles se rendront. J'essaie de lire John Steinbeck (To a God Unknown) mais c'est deprimant, ca me tombe des mains! Je trouve Trois femmes puissantes, de Marie Ndyaye; ecriture elegante et personnages dignes mais sujet tres dur et en fin de compte, demoralisant egalement.
Au petit matin, en faisant mon yoga sur le toit, je vois un aigle planer et le fou du village faire son jogging avec des gesticulations comiques. Parfois, j'apercois des dizaines d'hirondelles voleter et faire des piques, sans doute pour attraper des insectes. Il y a la bande de pigeons qui roucoulent et les corbaux qui coassent comme une vieille porte qui grince, toute cette faune ajoute vie et mouvement a mes reveils. Je marche pendant deux heures pour voir les bassins d'eau, les monuments, les temples qui sentent le ghee et l'encens; je zigzague et prends plaisir a photographier de menues scenes de vie quotidienne: ecoliers qui se tiennent par le cou et femmes avec leur bebe dans le dos, memes qui tricotent en groupe, vendeurs a la criee et simples desoeuvres qui restent placidement assis a guetter le cours des choses. Je goute le King curd, un yogourt tres epais et onctueux qui bouche un coin, me paye le luxe d'un cappucino glace, la vie est douce quand on a des roupies...Un ado arbore un t-shirt qui dit: I am not perfect but I am limited edition. Je regarde le soleil se coucher de la terrasse, une biere a la main: merci pour une autre journee de bon temps! Quelle chance, vraiment, d'etre vivante et d'avoir du temps libre.
Je n'essayais pas de decrocher la lune, seulement de la photographier, quand soudain j'ai entendu des clameurs de fanfare, tambours et cymbales. Je descends voir ce dont il retourne et je tombe sur une procession d'environ deux cents personnes dont certains transportent un palanquin de tissu rouge qui represente Indra, le dieu de la pluie. Des gamins dansent, des femmes et des enfants portent des batons d'encens et des hommes de tout age tapent fievreusement sur leurs percussions. Le gros de la fete cependant se deroule a Katmandu, ou la Kumari, la deesse vivante (une enfant prepubere identifiee comme la reincarnation de la deesse Taleju) apparait a la foule en liesse, montee sur un chariot dans ses habits d'apparat. Son regne se terminera lors de ses premieres regles, bien sur, moment ou elle deviendra "impure".
Apres quelques jours, il y aura sacrifices d'animaux pour assurer la fertilite des recoltes.
Je prends un matin le bus pour Nagarkot, petit village perche en hauteur, ou je marche jusqu'a une tour qui offre un point de vue incomparable sur les environs. Ce jour-la neanmoins il fait un peu brumeux, impossible d'apercevoir les sommets enneiges au loin. Peu importe, je vais passer la un apres-midi magique. En effet, je placote avec Gelia, une Espagnole rigolote et hippie sur les bords qui, des la fin de ses etudes de medecine a file, nez au vent, pour une duree indefinie... Sur cette colline il y avait une reunion de trente ou quarante Tibetains, les femmes vetues de belles robes et les hommes jouant de la musique. A un moment donne, la danse a commence: tous en cercle, ils chantaient et battaient la mesure avec leurs pieds, se deplacant comme en osmose. Les petits enfants riaient et couraient partout, j'ai eu mon dix minutes de succes avec eux lorsque je leur ai distribue des bonbons. Les tibetains nous ont offert un bout de fromage sec, que l'on suce comme une friandise et qui, peut-etre au bout d'une heure, ramollit assez pour qu'on puisse le manger, plutot aride!
Bref ils nous ont fait un bon accueil et ce fut emouvant d'etre temoin de leur petite fete intime. Dans le bus de retour, ma voisine me fait signe qu'elle a la nausee; je lui offre un chewing gum puisque la menthe peu aider, mais elle croit que c'est un medicament et l'avale tout rond! Probleme de communication.
Le lendemain, Gelia et moi marchons jusqu'a Changu Narayan, agreable trajet et beau temple ancien. Il faisait chaud sur la route mais ca valait le coup. Nous lions connaissance avec Dinesh et Sujan, deux etudiants qui travaillent aussi comme guides. (Un boulot d'etudiant rapporte entre 50$ et 75$ par mois).
Je decide d'aller a Namo Buddha, lieu qui parait edenique, avec Dinesh, marche conclu!
Le lendemain, j'entends a nouveau de la musique dans la rue et me precipite pour voir des jeunes en costume traditionnel qui jouent fierement tandis qu'un homme masque danse, incarnant ce qui semble etre un demon, dans le cadre de la journee du tourisme. Decidement, il y a de l'action dans le coin! Mon ami le guide est en retard mais pour cause: il y a eu un ecrasement d'avion qui a perturbe la circulation, dans lequel helas sept Nepalais et douze touristes ont peri.
Nous prenons le bus jusqu'a Dhulikhel, puis nous mettons en route: d'abord il faut grimper mille marches, nous admirons au passage un immense bouddha dore, puis prenons un petit sentier qui serpente entre les fermes et offre une vue imprenable et idyllique sur les montagnes environnantes. Un chien hargneux grogne et nous suit cinq minutes, autrement tout est paisible. Nous prenons une collation de concombre avec du sel et du piment, puis apres trois heures arrivons au monastere, colore et intact car recent. Les trompettes et les cymbales rituelles resonnent, tout un accueil! L'orage se declare juste comme nous arrivons. Le soir, la lune semble pleine et la vue est renouvelee, magique.
Leves tot, nous esperions mediter mais la seance est annulee car les jeunes moines doivent pratiquer une danse qu'ils executeront dans le cadre d'une celebration speciale. Quelle chance! Pendant une heure, nous les regardons avec une curiosite avide: certains sont gracieux et agiles, certains pleins de vigueur quoique manquant de coordination, d'autres carrement empotes mais tous arborent un franc sourire et rient, ca fait chaud au coeur de les voir s'amuser. Le petit dejeuner est insolite: on nous sert de la farine maltee qui, combinee a un peu de beurre, de sucre et d'eau chaude, donne une mixture epaisse et collante (a la consistance semblable a du beurre d'arachide) et c'est la tout ce que nous aurons a nous mettre sous la dent, assez austere comme regime. A ma grande surprise le refectoire est bruyant et anime, j'aurais cru qu'ils mangent en silence mais ce n'est pas le cas. Il y a des enfants, des adolescents et des adultes parmi les moines.
Sur le chemin du retour, Dinesh m'apprend quelques mots de nepalais ainsi que la chanson typique que l'on entonne quand on marche en montagne (Ressam Firiri) et me dit que ma voix est un don de dieu, que je devrais vraiment please continuer a chanter! Je lui apprends quelques mots de francais. Nous attendons longtemps un bus qui ne vient pas, alors il decide de monter dans la boite d'un camion qui transporte une citerne de lait qui n'est pas etanche; resultat nous sommes debout, nez au vent ce qui est agreable mais les orteils trempent dans une petite flaque de lait qui se deplace avec les virages! En fin de journee, nous jouons au cartes avec un de ses amis et goutons un peu de Chiang, version douce de bagosse qui n'enivre pas tellement. (Il existe une version plus dure, le Roxy, alcool fort que je ne tiens pas a essayer.)
En jasant, je constate qu'ici, les gens pauvres sont minces et les gens a l'aise sont plus ronds, donc ce sont les courbes qui ont la cote, l'oppose de chez nous quoi, ce qui me donne l'idee loufoque de creer une agence de rencontre : The wings of love, ou le but avoue est d'agencer des occidentales rondes avec de minces et fringants Nepalais. On deconne un peu la-dessus, mais il y aurait preneur car ici, un mariage arrange coute tres cher, alors meme s'ils devaient payer, certains seraient partant pour la blancheur exotique...he he!
Le lendemain, je reprends le bus pour Changu et cette fois c'est l'ami de Dinesh, dont l'anglais est plus laborieux, qui m'emmene promener du cote de Sankhu. Encore un chemin enchanteur a travers champs puis le long d'une riviere et enfin dans la jungle, comme il dit. Quoique ce n'est pas tres touffu, c'est quand meme vrai qu'a quelques kilometres de la on peut parfois apercevoir des betes sauvages (lions et autres) dans la foret! Rendus au village, il faut encore se taper de nombreuses marches pour aboutir au monkey temple (encore un) et la chaleur me tourne un peu la tete. Nous mangeons...eh oui, des momos kothey (frits a la poele apres avoir ete cuits a la vapeur) fort savoureux. Retour par un autre itineraire, pont suspendu, villageoises dans les champs m'offrant de partager leur repas, rires, c'est genereux de leur part! Je me tords les chevilles car je suis en gougounes, mes bonnes chaussures etant restees a Katmandu avec mon gros sac a dos. Rien de grave mais c'est un peu sensible.
Le lendemain, jour mollo: Dinesh qui m'aime bien et qui a du temps entre deux semestres d'universite, m'offre d'aller au cinema. Suite a une decision des maoistes, les films indiens sont pour le moment bannis de l'affiche, on doit donc se taper un navet local sincerement navrant! C'est trooop quetaine pour etre vrai, trop cliche, trop mal joue et avec trop de longueurs, decidement indigeste....Il est desole car lui aussi prefere les bons vieux films de Bollywood, previsibles mais ficeles avec un minimum de savoir-faire.
Dans la salle de bains, je fais une vilaine chute car les tuiles sont mouillees et vlan! Je me cogne durement la malleole et ca enfle a vue d'oeil. Je mets de la glace dessus et ca ne parait pas si terrible, je peux marcher. Je prends un bus pour aller a Bodnath, aussi appele Bodha, ou un immense stupa est le centre d'attraction des pelerins bouddhistes qui tournent autour en faisant leurs prieres. C'est un endroit sympa, pas stressant mais moins beau que je me l'etais imagine. Le soir, malgre que j'aie applique plusieurs fois de la glace et pris de l'arnica, ma cheville a empire au point ou je boite et ne peux pas mettre beaucoup de poids dessus. C'est moche, moi qui voulait, qui esperait faire un trek dans une semaine, j'ignore si ca guerira assez vite pour ca. Coup de chance, j'ai des anti-inflammatoires avec moi, je me bande la cheville et la mets sur une montagne d'oreillers et je dors bien malgre tout.
Cette mesaventure, c'etait hier et ce matin ca allait deja mieux. Je suis restee tranquille et j'en ai profite pour mettre a jour mon blog, alors voila, toute chose a un bon cote au moins...Je n'ai rien de brise, donc pas besoin a mon avis d'aller a l'hopital mais je dois moderer mes transports! Pas de marche ni de yoga pour quelques jours. Deja le mois d'octobre, le temps file. Demain, j'ai comme projet de me rendre a Katmandu pour demander une extension de mon visa, qui se termine le 9, de sorte que je puisse assister au debut du festival de Dasain le 16, la plus importante fete hindoue qui s'etire je crois sur deux semaines. Ensuite, je me teleporterai a Java pour le dernier droit de ce voyage...
"La vie ne nous dit pas,
de toutes nos heures,
laquelle nous donnera
notre visage d'eternite."
Olivier Germain-Thomas
Le 21 septembre, je me rends a Patan, alias Lalitpur, qui signifie: ville de beaute. L'endroit merite le detour, c'est vraiment unique au monde: imaginez de deambuler dans un vaste musee a ciel ouvert; pas moins de 1200 monuments bouddhistes vous attendent sur la place principale ou au detour des ruelles. Reellement impressionnant et plus agreable que le centre-ville de Katmandu, a quelques kilometres de la.
Depuis que j'ai quitte Pokhara, je suis a nouveau envelopee de la patience du soleil, qui rechauffe quotidiennement la masse fourmillante d'humanite qui s'affaire dans la cite historique. Je deambule, croque moult cliches, mange une enieme assiette de momos puis me dirige vers le terrain de football, qui accueille le festival de musique, une organisation a but non-lucratif qui a pour but de rapprocher les gens par le biais de la musique et de promouvoir la paix et le progres, noble objectif s'il en est. J'arrive vers 13h, a temps pour entendre le premier groupe invite; ce sont des Indiens qui jouent divinement, de vrais pros! Planant, comme d'habitude lorsque tabla, sitar et talent sont reunis.
Je lie conversation avec Elena, une Allemande etudiant la medecine qui fait du benevolat ici pour quelques mois, ainsi qu'avec une bande de jeunes qui ont contribue a l'organisation de la fete: le contact est immediat, chaleureux et decontracte. Le groupe suivant, 1001 Ways, vient de la Suisse et est afflige d'un leader excentrique, chapeau jaune et moustache a rallonge, qui pour honorable violoniste qu'il soit demeure un mediocre- voire penible- vocaliste, mais son enthousiasme bon enfant fait qu'il est impossible de le hair! Suivra Soulset du Danemark, correct. Tumbleweed, tendance metal, me laisse de marbre. Playing for change, un choeur d'enfants, met une touche de fraicheur bienvenue sous le soleil torride. Les gens d'ici ont trouve un slogan national accrocheur: Never Ending Peace And Love; ils sont fiers et ils ont bien raison.
Robin and the Revolution fut mon groupe favori; coup de coeur pour ce grand slack de rocker, sorte de Max Headroom nepalais avec des allures de David Bowie...Ca "swingait" dans l'assistance. Cobweb etait pas mal, Astha Tamang, une jeune recrue vivant a Toronto, avait de la fougue a defaut d'une grande voix et 1974 AD ne m'a pas conquise mais a induit une espece de transe collective dans l'assistance: tout le monde sautait et chantait a pleins poumons, ce qui en fin de compte valait le spectacle! Un groupe de gringalets de quatorze ans faisait du slam nu torse pour se montrer viril, ce qui etait plus mignon qu'autre chose...Le show s'est termine tot. Vers 21h, je rentre contente, les pieds un peu en compote; la journee a ete longue.
Le lendemain, je file a moto visiter le village de Bungamati, tres traditionnel et rural. C'est un patelin newari, l'une des 36 langues et castes du Nepal. Je vois les gens affaires a toutes sortes de taches manuelles: filer la laine, tisser, trier le grain, trimballer des paquets de foin, affuter les serpes, donner le bain au bebe en pleine rue, faire du vin de riz (bagosse locale pour s'enivrer a peu de frais), etc. Lilendra, mon guide, a 30 ans et deja 16 ans d'experience dans son domaine. Il a ete grandement aide par un bon Jack de Vancouver qui l'a pris en affection et est devenu son deuxieme pere (le premier ayant deserte), le visitant a chaque annee et payant pour son education. Il a maintenant le projet d'aller vivre quelques annees dans l'ouest canadien.
Le soir, il est invite a un party de fiancailles; j'espere l'accompagner mais malgre ma candide tentative pour faire le brin d'herbe (merci Genou) il me dit que c'est assez formel et qu'il ne peut prendre la liberte de m'inviter. Dommage. Ce soir-la je m'emmerde et me refugie dans la lecture d'un roman de John Irving qui se passe en partie aux US et au Canada, dans un camp de draveurs. Je realise soudain que ce mot derive de "river driver", ce que j'ignorais, je trouve ca beau. Ce n'est pas son meilleur bouquin mais comme d'habitude on ne s'ennuie pas et on y retrouve tous les themes qui lui sont chers: amitie, amour incestueux, alcoolisme, personnages decales et marginaux, tendresse, solitude, mort (avec l'inevitable apparition d'un ours, reel ou imaginaire); bref comment survivre en ce 21e siecle qui part en couille?
Le lendemain matin, manque de sommeil oblige, je broie du noir, je me sens moche et perdue. J'ai reve que j'etais de retour a Quebec et que je ne retrouvais plus mon velo ni mon cellulaire, que tout tournait carre. Ai-je peur de ne pas savoir renouer avec mon monde? Puis vinrent les questions existentielles: devrais-je me caser et faire un bebe (cafe au lait de preference) ou rester a jamais nomade et sans attaches? Ou est le plus grand defi? Pour moi, sans aucun doute, la vie de couple stable est plus difficile que la vie de boheme, c'est evident. Mais dois-je aller vers ce qui est facile et coule de source ou au contraire vers ce qui me "challenge" le plus? La vie n'est pas a ce point binaire, je le sais bien... j'angoisse un peu a l'idee que precisement vu ma position privilegiee TOUT est possible, c'est incroyable!
Je peux me lancer en musique, faire un mariage arrange, m'exiler, prendre des amants en serie, mais qu'est-ce qui a du sens au juste pour moi? Help! Des fois je ne suis plus sure de rien! Je veux bien prendre de nouveaux departs mais avec les pieds sur terre, ancree dans le reel. C'est dingue d'avoir autant de liberte et de ne savoir qu'en faire. C'est certain que je veux contribuer au bien-etre d'autrui, faire partie d'une collectivite humaine. Quand je vois des jeunes ici qui ont zero possibilite de se demander ce qu'ils veulent je me sens presque coupable. Ils ne font que fonctionner, survivre, aider leur famille elargie, avec le sourire et sans se regarder le nombril; c'est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre. Je me prends une bonne douche froide et me secoue de ma torpeur. "After all, what is wrong with black sheeps-don't people wear black sweaters?"
Je me deplace ensuite a Bakhtapur, plus petite que Patan, au centre pietonnier; ville hors du temps qui abrite des artisans dont le savoir-faire remonte a des siecles (potiers, tisserands, peintres, sculpteurs), situe sur l'ancienne route de commerce avec le Tibet. C'est moins grandiose que Lalitpur mais ca respire a un rythme autrement plus paisible. Toutes les boutiques ferment a 19h ou 20h et les rues ne sont pas eclairees; pas le choix d'etre couche-tot! Des mon arrivee, des guides en t-shirt roses tentent de me mettre le grappin dessus (l'un d'eux, parlant un italien parfait, veut me donner un massage!) mais je decline car j'ai envie de deambuler par moi-meme dans le dedale de petites rues etroites. Je m'impregne de cette douce tranquilite.
Je vois des artistes en train de realiser des tangkas, peintures sur tissu qui representent des scenes sacrees pour les bouddhistes (Bouddha, Tara, Mandalas, etc). Je sympathise avec un mec rigolo, un musicien qui vient de Mongolie et qui vit en Chine; on s'est rencontre dans un magasin de musique ou j'ai improvise une petite danse, a la joie des deux commis. Nous avons pris une bouchee dans un resto et nous sommes dit adieu avec le sourire,avec legerete. J'ecris quelques cartes postales, j'espere qu'elles se rendront. J'essaie de lire John Steinbeck (To a God Unknown) mais c'est deprimant, ca me tombe des mains! Je trouve Trois femmes puissantes, de Marie Ndyaye; ecriture elegante et personnages dignes mais sujet tres dur et en fin de compte, demoralisant egalement.
Au petit matin, en faisant mon yoga sur le toit, je vois un aigle planer et le fou du village faire son jogging avec des gesticulations comiques. Parfois, j'apercois des dizaines d'hirondelles voleter et faire des piques, sans doute pour attraper des insectes. Il y a la bande de pigeons qui roucoulent et les corbaux qui coassent comme une vieille porte qui grince, toute cette faune ajoute vie et mouvement a mes reveils. Je marche pendant deux heures pour voir les bassins d'eau, les monuments, les temples qui sentent le ghee et l'encens; je zigzague et prends plaisir a photographier de menues scenes de vie quotidienne: ecoliers qui se tiennent par le cou et femmes avec leur bebe dans le dos, memes qui tricotent en groupe, vendeurs a la criee et simples desoeuvres qui restent placidement assis a guetter le cours des choses. Je goute le King curd, un yogourt tres epais et onctueux qui bouche un coin, me paye le luxe d'un cappucino glace, la vie est douce quand on a des roupies...Un ado arbore un t-shirt qui dit: I am not perfect but I am limited edition. Je regarde le soleil se coucher de la terrasse, une biere a la main: merci pour une autre journee de bon temps! Quelle chance, vraiment, d'etre vivante et d'avoir du temps libre.
Je n'essayais pas de decrocher la lune, seulement de la photographier, quand soudain j'ai entendu des clameurs de fanfare, tambours et cymbales. Je descends voir ce dont il retourne et je tombe sur une procession d'environ deux cents personnes dont certains transportent un palanquin de tissu rouge qui represente Indra, le dieu de la pluie. Des gamins dansent, des femmes et des enfants portent des batons d'encens et des hommes de tout age tapent fievreusement sur leurs percussions. Le gros de la fete cependant se deroule a Katmandu, ou la Kumari, la deesse vivante (une enfant prepubere identifiee comme la reincarnation de la deesse Taleju) apparait a la foule en liesse, montee sur un chariot dans ses habits d'apparat. Son regne se terminera lors de ses premieres regles, bien sur, moment ou elle deviendra "impure".
Apres quelques jours, il y aura sacrifices d'animaux pour assurer la fertilite des recoltes.
Je prends un matin le bus pour Nagarkot, petit village perche en hauteur, ou je marche jusqu'a une tour qui offre un point de vue incomparable sur les environs. Ce jour-la neanmoins il fait un peu brumeux, impossible d'apercevoir les sommets enneiges au loin. Peu importe, je vais passer la un apres-midi magique. En effet, je placote avec Gelia, une Espagnole rigolote et hippie sur les bords qui, des la fin de ses etudes de medecine a file, nez au vent, pour une duree indefinie... Sur cette colline il y avait une reunion de trente ou quarante Tibetains, les femmes vetues de belles robes et les hommes jouant de la musique. A un moment donne, la danse a commence: tous en cercle, ils chantaient et battaient la mesure avec leurs pieds, se deplacant comme en osmose. Les petits enfants riaient et couraient partout, j'ai eu mon dix minutes de succes avec eux lorsque je leur ai distribue des bonbons. Les tibetains nous ont offert un bout de fromage sec, que l'on suce comme une friandise et qui, peut-etre au bout d'une heure, ramollit assez pour qu'on puisse le manger, plutot aride!
Bref ils nous ont fait un bon accueil et ce fut emouvant d'etre temoin de leur petite fete intime. Dans le bus de retour, ma voisine me fait signe qu'elle a la nausee; je lui offre un chewing gum puisque la menthe peu aider, mais elle croit que c'est un medicament et l'avale tout rond! Probleme de communication.
Le lendemain, Gelia et moi marchons jusqu'a Changu Narayan, agreable trajet et beau temple ancien. Il faisait chaud sur la route mais ca valait le coup. Nous lions connaissance avec Dinesh et Sujan, deux etudiants qui travaillent aussi comme guides. (Un boulot d'etudiant rapporte entre 50$ et 75$ par mois).
Je decide d'aller a Namo Buddha, lieu qui parait edenique, avec Dinesh, marche conclu!
Le lendemain, j'entends a nouveau de la musique dans la rue et me precipite pour voir des jeunes en costume traditionnel qui jouent fierement tandis qu'un homme masque danse, incarnant ce qui semble etre un demon, dans le cadre de la journee du tourisme. Decidement, il y a de l'action dans le coin! Mon ami le guide est en retard mais pour cause: il y a eu un ecrasement d'avion qui a perturbe la circulation, dans lequel helas sept Nepalais et douze touristes ont peri.
Nous prenons le bus jusqu'a Dhulikhel, puis nous mettons en route: d'abord il faut grimper mille marches, nous admirons au passage un immense bouddha dore, puis prenons un petit sentier qui serpente entre les fermes et offre une vue imprenable et idyllique sur les montagnes environnantes. Un chien hargneux grogne et nous suit cinq minutes, autrement tout est paisible. Nous prenons une collation de concombre avec du sel et du piment, puis apres trois heures arrivons au monastere, colore et intact car recent. Les trompettes et les cymbales rituelles resonnent, tout un accueil! L'orage se declare juste comme nous arrivons. Le soir, la lune semble pleine et la vue est renouvelee, magique.
Leves tot, nous esperions mediter mais la seance est annulee car les jeunes moines doivent pratiquer une danse qu'ils executeront dans le cadre d'une celebration speciale. Quelle chance! Pendant une heure, nous les regardons avec une curiosite avide: certains sont gracieux et agiles, certains pleins de vigueur quoique manquant de coordination, d'autres carrement empotes mais tous arborent un franc sourire et rient, ca fait chaud au coeur de les voir s'amuser. Le petit dejeuner est insolite: on nous sert de la farine maltee qui, combinee a un peu de beurre, de sucre et d'eau chaude, donne une mixture epaisse et collante (a la consistance semblable a du beurre d'arachide) et c'est la tout ce que nous aurons a nous mettre sous la dent, assez austere comme regime. A ma grande surprise le refectoire est bruyant et anime, j'aurais cru qu'ils mangent en silence mais ce n'est pas le cas. Il y a des enfants, des adolescents et des adultes parmi les moines.
Sur le chemin du retour, Dinesh m'apprend quelques mots de nepalais ainsi que la chanson typique que l'on entonne quand on marche en montagne (Ressam Firiri) et me dit que ma voix est un don de dieu, que je devrais vraiment please continuer a chanter! Je lui apprends quelques mots de francais. Nous attendons longtemps un bus qui ne vient pas, alors il decide de monter dans la boite d'un camion qui transporte une citerne de lait qui n'est pas etanche; resultat nous sommes debout, nez au vent ce qui est agreable mais les orteils trempent dans une petite flaque de lait qui se deplace avec les virages! En fin de journee, nous jouons au cartes avec un de ses amis et goutons un peu de Chiang, version douce de bagosse qui n'enivre pas tellement. (Il existe une version plus dure, le Roxy, alcool fort que je ne tiens pas a essayer.)
En jasant, je constate qu'ici, les gens pauvres sont minces et les gens a l'aise sont plus ronds, donc ce sont les courbes qui ont la cote, l'oppose de chez nous quoi, ce qui me donne l'idee loufoque de creer une agence de rencontre : The wings of love, ou le but avoue est d'agencer des occidentales rondes avec de minces et fringants Nepalais. On deconne un peu la-dessus, mais il y aurait preneur car ici, un mariage arrange coute tres cher, alors meme s'ils devaient payer, certains seraient partant pour la blancheur exotique...he he!
Le lendemain, je reprends le bus pour Changu et cette fois c'est l'ami de Dinesh, dont l'anglais est plus laborieux, qui m'emmene promener du cote de Sankhu. Encore un chemin enchanteur a travers champs puis le long d'une riviere et enfin dans la jungle, comme il dit. Quoique ce n'est pas tres touffu, c'est quand meme vrai qu'a quelques kilometres de la on peut parfois apercevoir des betes sauvages (lions et autres) dans la foret! Rendus au village, il faut encore se taper de nombreuses marches pour aboutir au monkey temple (encore un) et la chaleur me tourne un peu la tete. Nous mangeons...eh oui, des momos kothey (frits a la poele apres avoir ete cuits a la vapeur) fort savoureux. Retour par un autre itineraire, pont suspendu, villageoises dans les champs m'offrant de partager leur repas, rires, c'est genereux de leur part! Je me tords les chevilles car je suis en gougounes, mes bonnes chaussures etant restees a Katmandu avec mon gros sac a dos. Rien de grave mais c'est un peu sensible.
Le lendemain, jour mollo: Dinesh qui m'aime bien et qui a du temps entre deux semestres d'universite, m'offre d'aller au cinema. Suite a une decision des maoistes, les films indiens sont pour le moment bannis de l'affiche, on doit donc se taper un navet local sincerement navrant! C'est trooop quetaine pour etre vrai, trop cliche, trop mal joue et avec trop de longueurs, decidement indigeste....Il est desole car lui aussi prefere les bons vieux films de Bollywood, previsibles mais ficeles avec un minimum de savoir-faire.
Dans la salle de bains, je fais une vilaine chute car les tuiles sont mouillees et vlan! Je me cogne durement la malleole et ca enfle a vue d'oeil. Je mets de la glace dessus et ca ne parait pas si terrible, je peux marcher. Je prends un bus pour aller a Bodnath, aussi appele Bodha, ou un immense stupa est le centre d'attraction des pelerins bouddhistes qui tournent autour en faisant leurs prieres. C'est un endroit sympa, pas stressant mais moins beau que je me l'etais imagine. Le soir, malgre que j'aie applique plusieurs fois de la glace et pris de l'arnica, ma cheville a empire au point ou je boite et ne peux pas mettre beaucoup de poids dessus. C'est moche, moi qui voulait, qui esperait faire un trek dans une semaine, j'ignore si ca guerira assez vite pour ca. Coup de chance, j'ai des anti-inflammatoires avec moi, je me bande la cheville et la mets sur une montagne d'oreillers et je dors bien malgre tout.
Cette mesaventure, c'etait hier et ce matin ca allait deja mieux. Je suis restee tranquille et j'en ai profite pour mettre a jour mon blog, alors voila, toute chose a un bon cote au moins...Je n'ai rien de brise, donc pas besoin a mon avis d'aller a l'hopital mais je dois moderer mes transports! Pas de marche ni de yoga pour quelques jours. Deja le mois d'octobre, le temps file. Demain, j'ai comme projet de me rendre a Katmandu pour demander une extension de mon visa, qui se termine le 9, de sorte que je puisse assister au debut du festival de Dasain le 16, la plus importante fete hindoue qui s'etire je crois sur deux semaines. Ensuite, je me teleporterai a Java pour le dernier droit de ce voyage...
"La vie ne nous dit pas,
de toutes nos heures,
laquelle nous donnera
notre visage d'eternite."
Olivier Germain-Thomas
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire