lundi 27 août 2012

Rien ne me manque sauf moi-meme

J'ai pique ce trait de genie a Brigitte Fontaine car il decrit precisement mon senti en ce mois d'Aout 2012...

Voila: je suis en Inde, je realise un reve, je suis libre comme l'air, je fais de belles rencontres et pourtant je me sens incomplete, morose, mal dans ma peau. Je sais que mon plus grand defi n'est pas de parcourir la planete mais plutot de reussir a habiter mon propre espace, de cesser de me fuir et de demeurer en contact profond avec moi-meme; avec mon coeur, mon corps, les emotions et au-dela, surtout avec le temoin immuable de tous ces phenomenes. Car mon desir de communion avec l'autre est en realite une aspiration spirituelle a l'Unite; quete incessante que seule ma propre presence pourra combler. Seul l'absolu peut combler ma soif d'absolu et je prie pour avoir enfin le courage de contacter cet ineffable a l'interieur au lieu de le projeter a l'exterieur, que ce soit sous forme d'ami(e), d'amoureux, d'enseignant ou de guru. C'est clair que ce que je cherche, c'est mon propre etre, ce n'est pas quelque chose que quelqu'un peut me donner. D'ou crise de foi: crois-je vraiment que l'eveil ou la paix est possible pour moi dans cette vie-ci? Si oui, vis en consequence, si non, allez, arrete de faire des retraites et de lire des bouquins de Krishnamurti, Swami Prajnanpad et compagnie! "C'est la qu'on est rendu", comme dirait feu RBO.

Mc Leod Gange est un agreable milieu de vie, petit mais anime. Je vais dans un centre converser avec des Tibetains voulant ameliorer leur anglais, dans des discussions portant sur des themes aussi differents que la globalisation ou les moustiques! Ils sont tellement souriants et desireux d'apprendre, il nous appellent "teacher" avec un amical respect et je passe la de bons moments, assise par terre dans la salle de classe surpeuplee (et surchauffee).Les exiles m'epatent par leur attitude positive. Je rencontre une jeune nonne qui a ete elevee dans un monastere, elle est rayonnante et me dit : puisque tu n'as pas d'enfant, pourquoi ne deviens-tu pas nonne toi aussi? Mmm pas certaine que ce cadre soit pour moi -pas tout de suite en tout cas, peut etre a 75 ans?!

Je prends un cours de cuisine avec un homme tres doux et gentil qui nous raconte son exil a travers les montagnes a l'age de 14 ans avec un groupe. Ils ont souffert du froid et de la faim; l'un des adultes s'est meme fait amputer des deux pieds suite a des engelures. Notre ami chef cuisinier avait l'air beaucoup plus vieux que son age et  tres afflige de ne jamais pouvoir revoir sa famille demeuree au Tibet. Nous avons appris l'art de modeler la pate pour faire des momos, delicieux raviolis cuits a la vapeur que l'on peut farcir au gout avec de la viande ou juste des legumes et du fromage, ou encore version "fusion", avec du chocolat, des noix et des fruits secs.

J'ai assiste a une seance de yoga ; le prof etait tres  intense et avait une prononciation qui rendait le tout un peu comique. Sa petite fille de deux ans a suivi a une partie du cours, collee dans les jambes de son papa.  "Yoga class time no any kind of tension...Good feeliiings, haaappy feelings...Rrrrelax your mushlesss...whole vody feel rrrefresss. " Il guidait les postures d'un ton chantant, comme s'il etait en train de reciter des mantras, bref ca donnait une couleur exotique au cours!

J'ai vu un spectacle de danse qui m'a laissee grandement perplexe. Un drole de zigoto, habille d'une veste traditionnelle, a d'abord fait une prestation ou il tournoyait sur lui-meme, puis il s'est lance dans une impro sauvage de style "one-man-rave", ou il s'est jete contre les murs et a envoye valser plusieurs vetements dans  un strip-tease partiel, avant de nous inviter a le joindre dans une sorte de "contact improvisation" ou il faisait des acrobaties loufoques (il s'est colle le front sur mon front, les yeux dans les yeux et a bascule sur moi; je me suis retrouve sur le dos, avec le gus suspendu au-dessus de moi sur mes tibias, sa sueur me degoulinant abondamment sur le visage ( dans le processus j'ai perdu mon piercing et failli ne pas le retrouver !). Bref j'aime les trucs experimentaux mais la j'avais l'impression d'un gars afflige d'un syndrome de personnalite limite qui fait des shows parce qu'il a besoin d'attention. Quoi qu'il en soit, c'etait tout a fait unique et je m'en souviendrai longtemps!

Je lis a nouveau le journal en buvant un excellent cappucino et j'apprends qu'a Sri Nagar, un groupe anonyme a diffuse affiches et pamphlets dans lequels ils disent aux femmes qui ne portent pas le hijab qu'elles s'exposent recevoir de l'acide au visage. La police enquete pour savoir si c'est un canular, mais ce n'est certes pas rassurant.

Des familles hindoues qui vivaient au Pakistan reviennent au pays parce qu'ils ont peur: enfants victimes d'intimidation et de violence a l'ecole, enlevements et demandes de rancon, menaces d'extorsions de toutes sortes et jeunes femmes converties de force a l'Islam...

On sait qu'en Inde il y a enormement de foeticides (avortements selectifs) et de bebes filles abandonnes a la naissance et ce, d'une part parce que toute famille veut au moins un enfant male pour perpetuer son nom, d'autre part  parce qu'un grand nombre de filles est un cauchemar financier pour les pauvres a cause de la coutume de la dot, pourtant officiellement tombee en desuetude mais largement observee (surtout en milieu rural). Au Rajasthan, la police a commence a prendre des prelevements d'ADN sur les cadavres de bebes  afin d'avoir une preuve permettant d'incriminer les parents fautifs. Le ratio femmes/hommes est de 883 pour 1000. Des millions de femmes assassinees dans ce pays, c'est tres triste et  preoccupant.

A Bengalore, un homme met le feu a une fillette de 10 ans pour se venger d'un vieux conflit qu'il avait avec le pere de celle-ci. Brulee a 75%, elle est entre la vie et la mort. Je me demande vraiment comment ca se passe dans la tete de certaines personnes...c'est tellement brutal et primitif comme comportement.

Entrefilet: un leopard a ete lapide par la foule alors qu'il pourchassait un garcon. Dans certaines regions, les animaux causent beaucoup de torts aux villageois: elephants detruisant des recoltes entieres, tigres  et leopards tuant des animaux domestiques ou meme des humains...gulp. On est bien chez nous, avec nos ecureuils, ratons-laveurs, mouffettes et autres bestioles inoffensives!

Je recois un bon massage tibetain; c'est assez profond, melange d'acupressions et de massage a l'huile.
Il pleut tellement qu'on croirait qu'on nous deverse des chaudieres d'eau sur la tete et les rues deviennent presque des ruisseaux: impossible de rester sec!

Un matin, je marche jusqu'a Baghsu puis Daramkot, lieu paisible ou se trouvent deux centres de meditation bouddhiste ou je prends des informations. J'ai envie de refaire une retraite de silence mais en meme temps, j'ai besoin de bouger dans mon corps, envie de yoga. Vu de gros singes sur le bord de la route. A l'Institut tibetain des arts, c'est presque desert mais un employe m'ouvre la porte du musee, officiellement ferme, ou je peux admirer quelques costumes d'opera et habits traditionnels. Je mange un copieux et succulent thali du gujarat, prend des infos sur les horaires de bus et un rendez-vous chez le dentiste pour un nettoyage (20$!).
Le soir j'assiste a un concert au Bouddha Hall; chanteuse et tablaiste tres doues et touchants.

Le 19 aout je prends un bus de nuit et me deporte a Rishikesh, "la ou resident les sages", capitale mondiale du yoga a en juger au nombre d'ashram per capita! Je me trouve une chambre tres propre et pas chere dans un quartier tranquille  puis j'arpente les deux rives du Gange de long en large. J'ai vu le fameux ashram abandonne de Maharishi Mahesh Yogi ou les Beatles ont ecrit the White Album en 1968 mais la grille est fermee, donc je n'ai pas vu l'interieur (fort decrepi au demeurant). Je me fais aborder par un mec un peu louche qui a l'air d'avoir trop fume mais je decourage ses elans amicaux par ma froideur indifferente.  Je vis un moment de grace dans le jardin du Niketan Ashram: des chants devotionnels apaisants semblent effacer la fatigue de la mauvaise nuit passee dans le bus. Une mere de famille m'aborde pour prendre des photos avec son fils et moi. Un autre quidam, fils de riche, m'offre un chai et il est citoyen du monde et bien gentil mais il me saoule (moulin a paroles) alors je decline son invitation a souper. Je vais au Divine center, pour un massage ayurvedique et le therapeute se donne a fond; en sortant je flotte sur un petit nuage... Au guest house, le soir venu, je fais la connaissance de Shay, un Israelien qui connait toutes les chansons des Beatles, il a une belle voix et joue de la guitare depuis l'age de sept ans, il nous regale d'un mini-concert prive.

Le lendemain, j'assiste a un cours avec Upendra, un grand timide qui enseigne l'hatha yoga; il est a l'ecoute et j'aime son style (fermete et douceur), alors je vais y retourner tous les jours. On fait un rechauffement, puis quelques salutations au soleil suivies d'un peu de pranayama et d'une relaxation; rien de complique mais ca me remet en mouvement et me reconcilie avec cet art ancien, dont j'avais fait une overdose en 2010 quand j'avais commence a enseigner au Peps.

L'apres-midi, un peu par hasard, j'aboutis a Devi's music school, un lieu dedie a celebrer la vie par la musique, la meditation et la danse! Je suis tellement touchee par leur accueil que j'en ai les larmes aux yeux. Il s'agit d'une famille dont le pere est prof de philosophie, l'une des filles est une vedette de chanson populaire (Devi, qui malgre son jeune age a enregistre pas moins de 70 albums et dont l'argent a servi a construire le centre, tout neuf et pourvu d'ordinateurs, ecran plat geant, materiel pour enregistrer et tutti quanti), ensuite Neeti, artiste accomplie et ange de bonte qui enseigne la danse et le chant classique indiens, une autre soeur artiste peintre et le frere Raj, realisateur de films. Tout ce beau monde est modeste, souriant et attentionne, c'est vraiment impressionnant d'arriver dans un lieu pareil, de voir ces gens desireux de donner et de partager ce qu'ils sont et ce en quoi ils croient. Le papa me prete des livres et me dit que le chant et la danse sont comme une priere, de la joie pure .Il me dit aussi: ici c'est chez toi, tu viens quand tu veux, nous sommes ta famille... Je me sens le coeur tout ouvert et j'experimente expansion et gratitude! Merci la vie pour cette rencontre. Le vent souffle et je me sens renaitre, la brise m'entoure de douceur.

Au guest house, encore une fois je suis minoritaire parmi les Israeliens avec lesquels je sympathise. Yael est une jeune femme determinee qui a passe trois ans a Delhi pour etudier le chant classique, helas elle a le rhume et ne peut chanter ce soir-la. Nous allons a l'ashram Devi pour un Kirtan improvise; nous chantons, dansons un brin et  regardons des videos de Devi (kitsch a souhait); je suis super energisee apres.

Je vais le lendemain avec Shay voir une magnifique chute d'eau. Je me baigne brievement dans la fraicheur benefique de cette eau qui vient de la montagne, puis nous grimpons tout en haut et aboutissons a un village isole ou des cultivateurs travaillent dans leurs champs en terrasses; tout est vert vif et si tranquille, wow!

Asif me manque, je me rachete une carte sim et lui telephone: il est stresse car il decore son magasin et ca coute plus cher que prevu, mais bref tres bientot il pourra realiser son reve d'avoir sa propre boutique, je lui souhaite un grand succes, il a travaille fort pour en arriver la. J'aurais envie de retourner le voir dans le sud avant d'aller en Malaisie mais ce n'est pas raisonnable, il est tres occupe. Je verrai apres le Nepal! A suivre.





"Let deep longing dwell in your heart
   never give up, never lose hope."

Shaikh Abu Said












dimanche 26 août 2012

Incredible India!

J'en ai reve pendant des annees avant de  fouler son sol, de  respirer ses effluves, de toucher du doigt ses contradictions, de cotoyer sa deroutante mosaique culturelle et gouter ses saveurs surprenantes: l'Inde tient ses promesses, pour le meilleur et pour le pire. De tous les pays que j'ai visite, Mother India est le plus captivant, celui qui m'a le plus seduite et aussi celui ou j'aurai fait le plus long sejour. Deja, je sens que ce ne sera pas le dernier, si Dieu le veut,  mais que j'y reviendrai, encore et encore.

Juste pour le plaisir, un abecedaire spontane et non-exhaustif de l'Inde (au feminin, comme elle se doit!):

Attirante
Bariolee
Chaotique
Demesuree
Envoutante
Folle
Genereuse
Horripilante
Irrationnelle
Joyeuse
Karmique
Lubrique
Mystique
Nonchalante
Ombrageuse
Paradoxale
Quete d'identite
Raffinee
Sanglante
Traditionnelle
Unique
Vivante
War (religious)
Xenophobe ?
Yin & Yang
Zen


jeudi 23 août 2012

Karmic Journey

Lors de mon dernier jour a Leh, je fais du velo dans la lumiere doree de fin d'apres-midi puis, apres un delicieux repas au Chopstick, je dois a regret me separer de Jennifer, en attente de  son passeport qui doit lui parvenir par courrier (ce qui exige beaucoup de foi car les postes indiennes semblent inconsistantes mais bon, on n'est pas a une priere pres quand on voyage ici). Le soir venu, depart pour Manali a minuit; je marche seule dans les rues obscures et pour un petit quart d'heure je suis sur mes gardes, la main serree sur ma lampe de poche. Il n'y a plus de taxi a cette heure et a cause d'une enieme panne, il fait vraiment nuit noire. Je rejoins sans encombres la gare mais, suite a un malentendu, je n'aurai pas le siege que j'esperais (a l'avant du jeep), je ferai donc le trajet de 17h a l'arriere completement, tassee avec trois gars. Equanimite et lacher-prise, plusieurs grandes respirations... la retraite de meditation encore fraiche m'aide a accepter rapidement le fait accompli!

Cependant, je ne suis pas au bout de mes peines car un des passagers a un probleme quelconque qui fait que ses pieds sentent (mais vraiment c'est pathologique!) et ca me souleve le coeur; pour couronner le tout il enleve ses souliers et mets ses pieds a cote de moi sur le banc...Ouf! si c'est vrai qu'on paye pour nos vieux peches, dans ce trajet j'ai du en expier un paquet parce que je me suis fait secouer comme jamais auparavant. La route est par moments en piteux etat, et Sonu, notre conducteur, est talentueux mais cowboy: il aime la vitesse et ne supporte pas de suivre un autre vehicule donc il double tout le monde, ce qui donne lieu a quelques sueurs froides.

Je n'ai pas vraiment dormi cette nuit-la, puisque je n'avais aucun appui-tete, j'ai juste somnole de facon hachuree. A l'aube, nous arretons a Pang, un stop aride a 5000 metres d'altitude: je ne suis pas assez habillee et je frissonne en buvant mon chai. Il y a quelques tentes qui servent a la fois de resto et d'hotel ( si on est assez mal pris). Vers 8h, en prenant un improbable "raccourci", Sonu fait une crevaison, reparee en un temps record. Vers midi, arret dans un minable boui-boui qui sert deux choix: des nouilles style ramen ou du riz aux feves (nul legume a l'horizon). Il pleut. Nous apercevons de nombreux motards et, chose plus surprenante, quelques cyclistes. Je les trouve courageux d'affronter la chaleur, le froid, les montagnes, le traffic et surtout la route tellement abimee!

Nous apercevons dans cette region plus sauvage des bouquetins (est-ce ainsi qu'on nomme des chevres de montagne sauvages?), quatre aigles dores, immenses et majestueux, poses pres du bord de la route, ainsi qu'un troupeau de pres de deux cents chevres domestiques qui nous a temporairement bloque le chemin.
Pres de Tandi, un tres beau village dans la vallee, les montagnes sont faites de strates de rochers de couleurs variees et il y a  de la verdure a perte de vue.

Les cahots sont intenses et on se cogne regulierement la tete au plafond; vraiment j'ai l'impression d'etre dans le shaker d'un barman fou, ou encore d'etre un pois sec dans un maracas, c'est in-croy-able!!! Je me felicite d'avoir pris deux anti-nausee le matin, ca m'evite d'etre malade. Vers 16h30, si pres du but, nous sommes arretes une heure a cause d'un eboulis. Lorsqu'une machine a fini de degager le passage, nous avancons a pas de tortue et ce n'est que boue et glissades. Il pleut toujours, c'est stressant car nous longeons un precipice sans garde-fou, c'est le moment le plus vertigineux de tout mon voyage jusqu'a present!

Finalement, o joie, o bonheur, nous deplions nos carcasses endolories, mission accomplie nous voici arrives! Je me deniche rapidement un hotel (avec douche chaude, luxe apprecie) et j'aboutis dans un resto lounge pour souper; je suis mystifiee car a cause du menu, de la musique d'ambiance et de la tele geante qui diffuse du sport,  je me croirais a Montreal!!! Je lis "The mistress of spices", amusant petit roman de fiction que Jennifer m'a donne. Je dors presque douze heures, merci la vie!

Le lendemain, je recois un massage himalayen, qui consiste essentiellement en acupressions et des manoeuvres a l'huile aussi (assez rapide et moyennement profond, ca me chatouille par moments!). Il a utilise une machine vibrante dans mon dos, ce que je n'apprecie pas beaucoup, mais dans l'ensemble ca ravigote.
(Achete des especes de bagues de massage en inox pour les doigts, ca active la circulation sanguine.)
Achete un vin de poire degueulasse qui goute le vinaigre, deception!  Vu plein de poissons d'argent dans ma chambre ainsi qu'un long centipede velu (euh etait-ce un scuttigere veloce? je me le demande) que je me suis sagement abstenue de tuer malgre un frisson de degout: je l'ai laisse vagabonder a son aise, me disant que les  petite bibittes ne mangent pas les grosses...

Manali ne me charme pas; c'est a la fois trop touristique et trop assoupi. Le lendemain, je marche jusqu'a Vashisht, le village voisin, a la recherche de Coralie, une copine rencontree dans la retraite de vipassana, mais je ne la trouve pas. C'est une agreable promenade, environ 8km, le temps est doux et je profite du bain public: je me trempe brievement dans cette source thermale presque brulante, puis me savonne a fond et me sens comme un neuve, ca detend tout de meme...En revenant je tombe sur Tomer, un autre fellow meditator, il me demande de l'accompagner; il va se faire percer le sourcil et ca le rend un brin nerveux. Il me propose ensuite d'aller dans Parvati Valley le jour meme, bonne idee! Nous prenons le bus local jusqu'a Kasol, soupons dans un resto ou je dois etre la seule non-Israelienne, puis le lendemain encore un bus pour aller a Kalga. C'est un petit village tres tranquille. Tomer ne file pas, je pars seule marcher jusqu'a Pulga, c'est une petite ballade ravissante. Mais Kalga m'ennuie et on decide de se dire au revoir, je repars a Kasol, puis le lendemain Bhuntar et enfin Daramsala (Mc Leod Gange), lieu rempli de Tibetains en exil.

Je me pose au Shanti guest house, a l'ecart de la foule, je dois descendre deux cents marches pour y aller mais ca vaut le coup car c'est pas cher et les gerants, deux freres, sont gentils; on discute autour d'un chai et ils me font gouter leurs parotha au carvi, (pain plat, presqu'une crepe) bien meilleurs que ceux du resto! Je sors et tombe aussitot sur une procession, j'apprends que c'est en memoire de deux jeunes qui se sont immoles par le feu la veille ( 49 personnes se sont supprimees de cette facon au fil des ans) pour protester contre l'oppression chinoise. Quelle tristesse! Il y a une veillee a la chandelle, des prieres. Le lendemain je visite un musee qui tout en m'instruisant m'accable: une sourde colere monte en moi a la lecture de ces faits et statistiques sur un genocide passe sous silence.

Les hauts plateaux du Tibet sont habites depuis environ sept mille ans et cette region fut longtemps un territoire souverain, avec son gouvernement, son aristocratie, ses lois et surtout sa culture propre, fondee sur le Bouddhisme. Pendant au moins 2000 ans le Tibet fut independant. Les monasteres et le gouvernement possedaient la plupart des terres et les fermiers les cultivaient; les femmes pouvaient exercer des responsabilites politiques; c'est une culture basee sur la compassion, la tolerance, le respect de la nature et la simplicite volontaire.

En 1949 la Chine debarque avec ses gros sabots pour "Liberer le Tibet" d'un systeme feodal et faire une revolution patriotique... C'est l'invasion pure et simple: sous pretexte de "revolution democratique", les Chinois ont tue plus d'un million de Tibetains (un sixieme de la population), detruit  6000 temples et monasteres, torture les moines de facon aberrante (crucifixions, enterres vivants, etc). Dans la foulee de l'annexion, des viols et atrocites sans nombre furent commis (ex: enfants forces de tuer leurs parents, femmes enceintes se faisant injecter une substance abortive); il y eut les emprisonnements avec torture systematique, camps de travail, famine, prison, bref un vrai cauchemar de repression sauvage et sans merci. Plus de 100 000 Tibetains ont fui au peril de leur vie, traversant a pied la chaine de l'Hymalaya dans des conditions tres dures (faim, engelures, amputations, voire la mort).

Il y eut une resistance armee de 1950 a 1970, desaprouvee par le Dalai Lama, qui a toujours prone le dialogue pacifique, mais en fin de compte les Tibetains furent submerges. Puis vint la phase sournoise d'assimilation progressive. Les colons chinois inondent le territoire, faisant des Tibetains une minorite en leur lieu de naissance. Leur langue est devalorisee, leur culte interdit, les jeunes doivent apprendre le chinois pour esperer un emploi; c'est la destruction methodique de la psyche et de l'identite d'un peuple. La Chine se targue d'avoir ameliore le niveau de vie alors qu' en realite les meilleures ecoles et hopitaux sont dans les grandes villes et coutent cher, donc inaccessibles aux modestes gens des regions reculees. L'afflux de colons fait que les prix des produits tibetains (agriculture et autres) sont fixes tres bas.  De plus, les hommes d'affaires tibetains sont lourdement taxes...Pauvrete galopante. Ajoutons a cela que la Chine pille et exploite sans bon sens les ressources naturelles, enfouit ses dechets nucleaires, alouette, courant au desastre ecologique a moyen terme. Ou est la justice? Que font l'ONU et compagnie? Nada, rien pantoute! Ca fait plus de soixante ans que le Dalai Lama parle dans le desert quand il demande que leur culture soit reconnue et protegee, que les droits des tibetains soient restaures. J'avais ressenti une grande tendresse en voyant le film "Ce qu'il reste de nous", ainsi qu'une amere impuissance, qui est ravivee par mon sejour a Mc Leod Gange.

Le lendemain, je traine de la patte, deprimee, impression de ne pas etre incarnee...Envie de rien. Je me sens enfermee en moi-meme, dans une solitude fade et sans lumiere. Je me sens comme une coquille vide, terne. Je me rabats sur la lecture: Purple Hibiscus, de Ngozi Adichie (Nigeria) et Train to Pakistan, de Khushwant Singh, qui raconte un episode triste de l'histoire de l'Inde, quand en 1947 on propose de diviser le pays en deux partie: le Pakistan musulman et l'Inde au hindous. Pas si simple...des emeutes eclatent a Calcutta, faisant des milliers de morts en quelques mois, et les troubles s'etendent plus loin, c'est le carnage. Les gens abandonnent leurs maisons pour aller vers des zones ou ils seront majoritaires, c'est la folie: 10 millions de personnes on the road, en pleine secheresse, terreur et massacres, toute l'Inde du nord est armee jusqu'aux dents ou se cache pour sauver sa peau.

Le 15 aout justement, c'etait la fete de l'Independance. Constatation: il y a encore bien des divisions entre riches et pauvres, meme si les castes sont abolies (en theorie) depuis longtemps, et entre religions. Il regne encore trop de prejuges et de regionalismes pour dire que l'unite revee est accomplie. Le defi de la plus grande democratie du monde est de trouver une identite commune qui soit au-dela des divergences de culte ou de langue, une identite pan-indienne qui embrasse la diversite de facon harmonieuse.

Un exemple de probleme actuel: depuis 1985,  il y a  affluence d'immigrants illegaux en provenance du Bengladesh (musulmans), qui provoque une dispute en Assam car les locaux (hindous) se sentent depossedes; cela cree un antagonisme politique, religieux et racial explosif. La semaine derniere, ce qui faisait la une des journaux, ce sont des rumeurs (diffusees en partie via facebook) voulant que, des la fin du ramadan, des musulmans allaient massacrer des hindous (originaires d'Assam)=resultat, 30 000 personnes qui travaillent dans d'autres provinces ont fuit pour rentrer chez eux, par peur d'etre attaques! Les trains furent congestionnes pendant des jours. Lorsqu'il y a des explosions de violence inter-ethnique, on accuse souvent les fauteurs de trouble d'etre Pakistanais. Est-ce vrai? En tout cas, il y eut 75 morts ces derniers mois en Assam, le torchon continue de bruler.... En fin de compte le ramadan est termine et il ne s'est rien passe, la police tente de trouver les gens a l'origine de ces rumeurs malfaisantes.

Je vous laisse avec une citation du Dalai Lama:

"World peace must develop from inner peace.
 Peace is not the absence of violence, peace is
 the manifestation of human compassion."







samedi 11 août 2012

Lumiere du Silence

Je repense aux gens que j'ai rencontres a Sri Nagar et retrospectivement, j'aimerais ajouter une observation. Bien que je ne les envie pas d'etre dans un moule culturel ou leur vie est en partie tracee d'avance, je constate neamoins que, la ou ils perdent en liberte, ils semblent gagner en serenite. J'ai vu bien des gens souriants, detendus, heureux, vivant au jour le jour avec une grande acceptation. Leur monde est cartographie, tout est clairement defini: le bien, le mal, les traditions et la place que chacun occupe. Donc, si je peux me permettre ce raccourci intellectuel, se pourrait-il que moins de choix genere moins d'angoisse? C'est a voir...

                                         "We see the world not as it is but as we are".

"Jullay"! (Mot passe-partout qui veut dire a la fois: bonjour, svp, merci et au revoir!) J'aime vraiment Leh, c'est encore completement different de tout ce que j'ai vu jusqu'a present en Inde. Je m'inscris a une retraite de meditation Vipassana de trois jours (helas le long sejour n'est pas disponible). Le centre Mahabodhi est situe dans une enclave de tranquilite, un lieu magnifique a l'ecart de la ville. Nous sommes une trentaine de participants; la plupart sont tres jeunes et n'ont jamais medite, donc la centration n'est pas ideale (certains parlent au lieu de resperter le silence) mais apres la retraite, je vais fraterniser avec une poignee d'entre eux, des Israeliens, des Francaises et une Canadienne notamment, fort sympathiques.

Le centre offre des cours de meditation mais s'implique aussi activement dans la vie des gens d'ici. Ils ont une ecole pour aveugles, un foyer pour personnes agees, un volet environnemental, une ecole pour les nonnes bouddhistes, un fonds d'aide pour secours d'urgence (ex: en 2010 une vilaine inondation a fait des ravages, et le centre a montre ce qu'etait la compassion en action! Le tout grace a des dons). Au total, cinq cent personnes vivent dans ce lieu et contribuent a la diffusion du bouddhisme tout comme a la vie sociale de la region. Le fondateur, qui nous a invites a prendre le the chez lui la derniere journee, est inspirant, plein de vigueur et d'enthousiasme, avec un sourire irresistible accroche a ses levres en permanence!

Je replonge avec bonheur dans les enseignements du Dharma et dans la pratique de meditation.C'est nettement moins severe et moins difficile que la retraite que j'avais faite a Sutton, car l'emploi du temps est different. Nous faisions quotidiennement 1h30 de yoga , assistons a  deux heures d'enseignements theoriques; quatre heures de meditation assise, pres de deux heures de marche meditative et 30 minutes de meditation debout, immobile. Il y avait aussi du temps libre lors des repas, donc c'etait varie et agreable.  Revenir a l'essentiel, a la presence, "Mindfulness" qui veut dire se souvenir du moment present, se rendre compte de ce que l'on vit, ici et maintenant, en utilisant le corps et la respiration comme ancrage. Je trouve facile de me lever a cinq heures, ce qui me surprend agrablement. Je n'ai pas fait beaucoup de sport dernierement et mon corps est ravi de renouer avec le yoga!

Lors des repas, nous sommes invites a manger meditativement et pour moi c'est une veritable revelation.
 Je reussis enfin a ralentir et a gouter chaque bouchee. Le truc, c'est de poser ma cuillere et de m'obliger a laisser mes mains completement immobiles sur mes genoux, jusqu'a ce que j'ai fini de deglutir, puis de prendre une bonne respiration avant de passer a la prochaine bouchee. Vraiment ca change ma perception du repas, j'ai une grande sensation d'abondance, je profite mieux de ma nourriture et me sens plus rassasiee avec moins en quantitie...Une cle pour moi, qui ait tendance a avaler tout rond parfois. Des la premiere journee de la retraite, je me sens plus calme, posee, mieux dans ma peau.

La deuxieme journee, mon esprit est plus rebelle et je dois affronter les trois obstacles majeurs: la douleur physique, l'endormissement et le "monkey mind", esprit agite qui saute dans toutes les directions! Il faut apprendre a elever sa tolerance a l'ínconfort , detendre le corps autour de la zone tendue, detendre  l'esprit qui refuse, affuter sa concentration sans tomber dans la rigidite, se ramener inlassablement a ses sensations concretes, a la realite de l instant...Tout un art qui vise a nous faire contacter notre etre profond, notre vraie nature sous la surface agitee de la personnalite. Quand on parle de Bouddha, il y a le personnage historique, Sakyamuni, mais aussi l'absolu en soi, ou bouddha interieur. Nous pratiquons Metta, une meditation ou  on repand de la bienveillance et on souhaite du bien d'abord a soi et a ses proches, en elargissant le cercle de plus en plus pour inclure tous les etres de l univers... La pleine lune est magnifique, le silence m apaise, comme une lumiere douce qui coule dans mes veines et parle a mon etre , caressant mon systeme nerveux, penetrant jusqu'a la moelle de mes os.

Notre enseignant, moine depuis plus de quarante ans, nous dit que la conscience du corps en mouvement est un outil puissant pour progresser dans cette voie. Il s agit de bouger au ralenti, de facon consciente et deliberee, de facon a percevoir chaque etape du geste effectue. Tout mouvement a un debut, un milieu et une fin, et en mettant l' emphase la-dessus, on developpe enormement sa capacite de centration. Donc, d'abord calmer le corps et le mental, ensuite on va vers l'insight, on voit les choses de plus en plus subtiles, on en vient a percevoir l'impermanence de tout phenomene., on se rapproche de la sagesse. Le soir, un bref moment ou nous chantons a l'unisson me met en joie. Je me sens legere, vivante et j'ai envie de rire sans raison!  Je replonge dans ce qui me passionne: la possibilite de se liberer de l'ego, de s'eveiller ; c'est un retour aux sources qui me remplit de gratitude.

Le dernier matin, nous allons faire resonner la cloche de la paix, le moine nous dit: vous allez reveiller le Dalai Lama! (il habite tout pres, il donnera un enseignement de quatre jours auquel en fin de compte je n'assisterai pas car j'ai plus besoin de pratique que de theorie). Nous faisons notre yoga dehors, sur une dune de sable, moment magique; puis meditons dans un lieu dedie a Milarepa. Om Mani Padme Hung! Bhante Rahula, notre guide, nous prescrit des M&M: "'Minute Meditation'", a faire une fois par heure, pour se recentrer. On arrete tout, on respire, on observe, on se rafraichit et ca evite d'accumuler trop de stess...C'est un temps court mais de qualite, comme une vitamine essentielle pour revenir au precieux present. L'ideal est de faire aussi de longues seances, si on veut progresser, mais ces petites capsules peuvent faire un bien immense!

De retour a Leh, je flane et m'occupe en allant voir le Palace qui surplombe la ville, datant du 17e siecle et replique miniature du Potala a Lhasa, au Tibet. L'interieur est decrepi mais la vue des alentours est superbe. J'ai grimpe en direction du Fort et essaye de trouver un vieux manoir, finalement ferme. Tout etait mal indique, un peu a l''abandon. Je vais voir le coucher de soleil au Shanti Stupa, encore un panorama splendide. Le soir, on se ramasse une petite bande au cafe Nirvana, ou brule un feu de camp entoure de gratteux de guitare. Le service est chaotique, pour ne pas dire inexistant, vaut mieux ne pas avoir trop faim! C'est un aspect agacant de l'Inde, cette inefficacite poussee jusqu'a l'extreme. Un des gars (Ori, 25 ans, qui voyage depuis plus de deux ans) veut voir mon passeport car il ne me croit pas quand je dis mon age, ce qui est quand meme flatteur! Ambiance chaleureuse, on s'entasse sous des couvertures car le soir est frais et humide.

Je donne un massage a Tomer, un Israelien francophile ayant deja habite a Mtl, il me dit que c'est le plus holistique qu'il ait recu de sa vie, chouette! Je lis le journal, ce qui me met encore hors de moi, tant il y a des  injustices en ce pays! Ex: Une famille indienne depense en moyenne 53% de son revenu en nourriture et l'Inde a a le plus haut taux de malnutrition au monde. Il y eut a Delhi un sit-in pour protester contre l'insecurite alimentaire liee a la hausse des prix des denrees de base. Avec la menace de secheresse, les speculateurs font grimper en fleche le cout du sucre, du sel, de l'huile, etc. Les patates ont augmente de 100% en un mois, les lentilles de 50%. Le pire c'est qu'en juillet, le stock de grains du pays affichait un surplus de 50 millions de tonnes mais au lieu de le donner aux pauvres, ces grains sont exportes vers des pays riches pour finir en nourriture a betail! Il couterait 25 000 crore (10 millions de roupies) pour etablir un systeme de distribution de nourriture en Inde mais le gouvernement prefere donner des reductions dímpots aux riches (500 000 crore soit 20 fois plus!) Ces decisions loufoques sont influencees par les lobby des agriculteurs  qui profitent de la flambee des prix . AAARKH!

 J'aimerais aller a Manali, mais le 4 aout une inondation subite arrache deux ponts, fait un mort et met pres de cent familles a la rue, une partie d'autoroute est effondree et la route fermee a la circulation. Donc je change de plan et vais passer deux jours a Phyang, un charmant village non loin de Leh, avec Jennifer, une jeune femme trippante de 27 ans, originaire de Saskatchewan, (ce qui me parait exotique!) et qui voyage "on and off" depuis sept ans. On aboutit au Hidden North, un charmant guest house avec vue panoramique sur le monastere, ou nous avons pu admirer des artistes peintres a l'oeuvre. Nous marchons quatre heures en montagne, avec l'intention d'aller au village voisin, mais on s'egare un peu et l'orage nous menace, nous rentrons nous regaler de l'excellente nourriture concoctee par Christina, une Italienne mariee a un Ladakhi.
Journee de farniente et de lecture; je devore "Birds without wings" de Louis de Bernieres, enlevant.

"Man is a bird without wings and a bird is a man without sorrows".

PS: A propos des drapeaux de priere, les bouddhistes croient que quand le vent les agite, c'est comme si on recitait un mantra, ca repand de bonnes vibrations dans l'univers...(Idem pour les moulins a priere, ornes de textes sacres.)


dimanche 5 août 2012

Magic Masala

(C'est le nom de la sorte de chips preferee de Bisma et c'est vrai que c'est bon!)
Masala veut dire melange, donc ce titre decrit assez bien la diversite indienne...

J'ai fait un peu d'insomnie, puis sombre dans un court sommeil agite interrompu par l'appel a la priere, mais je me souviens de reves en vrac: j'achete un bebe hamster et je le perds car il est trop petit, je dois passer une mammographie et ca me stresse, un de mes clients se prend une contravention; je vais voir un show d'Yvon Deschamps (!), puis je prends un verre avec mon amie Sylvie pour lui conter tout ca...assez absurde et decousu, mais tous mes episodes oniriques se passaient au Quebec, donc j'en conclus que le mal du pays m'a saisie! J'ai egalement reve qu'Arnaud Desjardins me demandait de revenir faire une retraite a Mangalam, ca m'a touchee et je me suis dis: ok Marika, tu as neglige ta vie spirituelle, tu regresses, c'est le temps de te remonter les manches!

Des fois, je regarde autour de moi: les maisons en brique, les mosquees, les charrettes a cheval, les vieux messieurs aux cheveux blancs et a la barbe orange fluo, les gamins elances, les mecs qui flanent, les femmes voilees (certaines ont une burqua) et je suis frappee d'un sentiment d'irrealite, genre quosse que je fais ici???  Dans l'ensemble, la ville degage une impression vieillotte, surannee, pas vraiment desagreable mais un peu melancolique et figee dans le temps.

Il y eut encore des jours de farniente (a force de rester assise a manger, j'ai l'impression de gonfler a vue d'oeil!) ou j'ai ecoute des bribes de television (les femmes au foyer et les ados en font leur sport national ici j'ai l'impression) et c'etait hilarant. Les series sont hyper caricaturales, les emotions grandiloquentes, les acteurs mauvais, les personnages stereotypes a l'os, le scenario trop melodramatique et le jeu inutilement exacerbe. J'ai quand meme trouve de bons cotes a ces soaps indiens: les hommes pleurent, les personnes agees sont representees et l'obsession de la minceur n'est pas generalisee, donc on peut voir des gens de toutes tailles. Par contre, ils ont bel et bien l'obsession de la blancheur, comme tous les pays d'Asie que j'ai visites helas! Les comediens vedettes sont pales et les produits blanchissants inondent les tablettes des pharmacies (le plus ridicule que j'ai vu etant un desodorisant!).

Visite la plus grande mosquee de Sri Nagar: a ma surprise,entre les prieres les hommes placotaient et faisaient la sieste! Vu plusieurs jardins un peu degarnis mais l'un d'eux, Pari mahal, offrait une vue saisissante sur la ville. Des voitures equipees de hauts-parleurs diffusent des prieres dans les rues a l'occasion du ramadan. Il y eut un jour de greve, en protestation contre le meurtre de musulmans a Assam...faudrait que je lise le journal.

Un matin, leves tot, nous partons en direction de Kokernag, un autre endroit feerique selon Asif, mais helas a moins de 20 km du but, une grosse roche transperce le reservoir d'huile du moteur, la randonnee est finie! En attendant qu'on trouve un remorquage, je discute avec des villageoises qui portent d'enormes fagots de branches sur leur tete, et elles m'offrent d'essayer, fiou! C'est vraiment tres lourd, je fais quelques pas et le cou veut me deboiter! Elles rient de bon coeur, je les admire d'etre aussi costaudes. On negocie avec un camionneur, puis un autre, et en tout ca nous prendra pres de six heures pour aboutir au garage, puis au bureau des assurances, avant de revenir a la maison. Pas mal de "brettage" , mais l'essentiel c'est que personne n'est blesse, alors je suis tres patiente.

Asif part bientot pour le Kerala et me dit que je peux rester plus longtemps dans sa famille mais je suis un peu mal a l'aise et j'ai besoin de bouger davantage. Donc le 29 juillet je me leve a l'aube pour aller trouver un jeep qui part pour Leh, au Ladakh, et quand on se separe je verse une petite larme. La route sera spectaculaire, vraiment impressionnante, mais difficile. C'est suppose etre un autoroute, mon oeil! C'est etroit, par moments asphalte mais pas souvent, et on doit parfois reculer pour laisser passer un camion...On roule a 20km des grands bouts et ca cahote, cahin caha...j'ai un episode de nausee ou je dois vraiment me parler et respirer pour que ca passe (d'autant plus que je suis avec 5 fumeurs!) C'est extremement poussiereux, et comme on n'a pas d'air climatise, les fenetres ouvertes nous gratifient de problemes respiratoires! Le trajet dure pres de 16h pour quatre cent quelques kilometres. J'arrive a 11h du soir et je dois me trouver un hotel, c'est un peu plate mais apres une demi-heure je peux me poser.

Le Ladakh, surnomme le petit Tibet, est un autre monde! A 3500 metres d'altitude, avec ses maisons encastrees a flanc de montagne, ses monasteres, ses stupas, ses drapeaux de priere, c'est le paradis des bouddhistes! C'est un ex-royaume, gouverne par la famille royale des Namgyal pendant 39 generations et tibetanise au 9e siecle.  Depuis l'independance, c'est un sous-district semi-autonome de Jammu & Kashmir.
 A premiere vue Leh est un endroit charmant et relax. Je tousse et j'ai le souffle court, resultat combine du moindre apport en oxygene et de mon rhume qui s'eternise. Je prends des remedes aux herbes et je vais au bar a oxygene, on me branche a une bonbonne pendant cinq minutes et ca fait un bien immense! On preconise  repos complet pour 36 heures et the au gingembre pour s'habituer et eviter l' Acute Mountain Sickness, qui peut provoquer maux de tete, etourdissements, fatigue et autres symptomes.



Saddhus et soldats



Il y a beaucoup de soldats en poste au Kashmir, surtout en peripherie de Sri Nagar.  Cela s'explique par les evenements violents survenus dans le passe:  les chicanes frontalieres entre l'Inde et le Pakistan, qui a tente maintes fois de mettre le pied dans la porte pour annexer le territoire. Selon Asif, aujourd'hui environ 70% des gens souhaitent demeurer avec l'Inde (quoiqu'avec plus d'autonomie). Les dernieres emeutes sanglantes remontent a 2010. Helas, bien des jeunes hommes ont perdu la vie dans des affrontements avec la police ou l'armee. Parenthese: l'islam pratique ici est teinte de soufisme, donc une tradition de tolerance plutot pacifique. Les fauteurs de trouble venaient parfois de l'Afghanistan ou du Pakistan, impregnes d'un islam plus radical.

Le 21 juillet, c'est le debut du ramadan. La veille, les gens sont pris d'une frenesie d'achats, ils prennent d'assaut les bazars afin de s'aprovisionner pour ce mois tres special. La plupart des gens vont donc jeuner, du lever au coucher du soleil, prier bien sur cinq fois par jour et aller a la mosquee ( les hommes seulement).  Les gens plus aises vont s'abstenir de travailler, mais certaines personnes moins fortunees qui travaillent dur physiquement ne pourront pas faire le ramadan. Meme boire est interdit, ce qui est ardu par cette chaleur! J'admire la mere d'Asif, qui jeune et pourtant sert a manger aux autres membres de la famille durant la journee. Ma copine Bisma, qui a 17 ans, a tenu une journee mais a souffert de maux de tete et de palpitations,  ce qui l'a dissuadee de continuer. Mahavish, une autre cousine de 16 ans, dit que faire le ramadan la remplit de joie!

Nous allons a Gulmarg, une station de montagne a quelques kilometres du Pakistan, avec une station de ski et un telepherique qui culmine a 3700 metres. Il y regne une ambiance endormie, un peu tristounette. Le lendemain, nous visitons Pahalgam, la petite route de campagne qui y mene est charmante et cotoie une large vallee traversee par une riviere turquoise, ca respire le bonheur! Nous louons des chevaux mais ils sont bas sur pattes, on dirait presque des mulets! Je vais marcher un peu, ca fait du bien, je me sens revivre. Le temps est ideal, sec et ensoleille avec un vent frais (environ 28C).
Rendus au sommet d'un plateau, la vue est epoustouflante: pas pour rien qu'on surnomme le Kashmir la petite Suisse! Je pense a Heidi et ses vaches... Les habitations locales sont des constructions carrees, basses en rondins et en terre. La promenade en scooter (de 240km au total ) m'a donne mal a la gorge a cause de la pollution et de la poussiere. Le soir, je bois un kalwah, delicieuse infusion de cannelle, cardamome et safran qui apaise un peu mes muqueuses.

C'est ce jour-la que nous avons vu plusieurs pelerins hindous, saddhus barbus tout d'orange vetus (tels ceux apercus a Varanasi). Les babas barbus vont a pied a Armanath pour y voir le fameux lingam naturel de pierre et de glace (symbole de Shiva)dans une grotte a flanc de montagne. Le Yatra attire annuellement plus de 100 000 pelerins, dont quelques-uns decedent a cause du froid ou d'un infarctus suite a l'effort de la montee.

Jour de repos; Asif est occupe de son cote car bientot il ouvre sa propre boutique et il a bien des preparatifs a completer. Je flane en compagnie de la douce Bisma, qui apprend des techniques de massage avec un talent flagrant! Nous bavardons, ecoutons de la musique, jouons au pendu, echangeons des livres, etc. Puis, nous prenons le bus local pour aller a l'internet, elle est toute excitee car elle ne s'est jamais aventure aussi loin sans un membre de sa famille. Je lui achete de la pizza, qu'elle goute pour la premiere fois, puis nous faisons un tour de shikara, sorte de gondole pittoresque, un moment de pure relaxation sur l'immense lac tranquille. J'achete des fruits et des legumes, je suis en manque! Le soir venu, j'acquiers un magnifique tapis fait au crochet qui represente l'arbre de vie, fait a la main par l'oncle d'Asif.

Le matin, typiquement on ne mange que du pain blanc avec du the (sale ou sucre), assez frugal. Le midi on mange les restes de la veille (plats savoureux sans etre excessivement piquants), avec une avalanche de riz blanc: les gens consomment ici chacun 15kg par mois en moyenne! Un lassi (yogourt legerement sale dilue avec de l'eau, excellent pour la digestion) complete souvent le repas, tandis que les biscuits et autres sucreries  sont pris en collation avec le chai de fin d'apres-midi. Le soir est le repas le plus consistant, avec de la viande,  des legumes cuits, occasionnellement une salade de radis, carottes, tomates et concombres. Tous les plats sont en sauce et on se sert du bouillon pour impregner le riz et lui donner saveur et couleur. La mere d'Asif est bonne cuisinere, je me regale.

Le 24 juillet, nous allons a Doodpathri, un endroit peu frequente par les touristes, notamment parce que la route est tres abimee dans les derniers kilometres, mais ce fut mon endroit prefere! En chemin, j'ai rigole en lisant les inscriptions sur les pare-chocs des camions, par exemple: Ready for Risk, Slow drive long life, No girlfriend no Tension, Hell was full so I came back, Wanted, Catch me if you can et Hey baby smile is tax free! Autre bizarrerie savoureuse, vu un endroit qui s'affichait comme "Disaster Management Center". J'imaginais toutes sortes de choses!

En attendant nos chevaux, je fraternise avec des gamins barbouilles et echeveles a qui j'offre des biscuits; leurs sourires timides et leurs rires me charment et ils sont intrigues par les chansons que je leur fredonne! La randonnee de cinq heures sera grandiose et un brin difficile pour les montures: beaucoup de montees et descentes abruptes (il  nous faudra d'ailleurs marcher a plusieurs reprises.) Juste avant d'arriver au sommet, mon cheval a perdu pied et  glisse en s'affaissant, j'ai bondi pour m'ejecter de l'autre cote car j'ai eu peur que nous tombions en bas de la haute pente. Mais il s'est retabli, je n'ai rien eu qu'une poussee d'adrenaline! Il y a des pins gigantesques, c'est magnifique.

Tout en haut: verts paturages, silence, vastes etendues edeniques peuplees par  quelques villageois qui habitent la seulement en ete avec leurs troupeaux. Nous goutons d'excellents rotis (pains de mais) avec du yogourt de buffle. Je vois des myosotis, des fraises des champs, des marguerites, ca me rappelle le Quebec et je suis emue. Non loin habite un saint homme soufi qui vit en ermite dans une grotte depuis des annees.

Nous redescendons, remplis de paix et ressentons encore une petite frousse: en traversant une riviere sur une etroite planche de bois, mon cheval tombe a l'eau (heureusement, je n'etais pas dessus!). Il est emporte un moment par le fort courant avant de reprendre pied et de sortir par lui-meme. Ouf! Impressionnant. Au retour, dans la route de graviers, Asif perd le controle et on tombe sur le cote avec le scooter mais on n'a que des egratignures car il allait tres lentement. J'en ai eu plein la vue ce jour-la, je m'en souviendrai longtemps.