jeudi 23 août 2012

Karmic Journey

Lors de mon dernier jour a Leh, je fais du velo dans la lumiere doree de fin d'apres-midi puis, apres un delicieux repas au Chopstick, je dois a regret me separer de Jennifer, en attente de  son passeport qui doit lui parvenir par courrier (ce qui exige beaucoup de foi car les postes indiennes semblent inconsistantes mais bon, on n'est pas a une priere pres quand on voyage ici). Le soir venu, depart pour Manali a minuit; je marche seule dans les rues obscures et pour un petit quart d'heure je suis sur mes gardes, la main serree sur ma lampe de poche. Il n'y a plus de taxi a cette heure et a cause d'une enieme panne, il fait vraiment nuit noire. Je rejoins sans encombres la gare mais, suite a un malentendu, je n'aurai pas le siege que j'esperais (a l'avant du jeep), je ferai donc le trajet de 17h a l'arriere completement, tassee avec trois gars. Equanimite et lacher-prise, plusieurs grandes respirations... la retraite de meditation encore fraiche m'aide a accepter rapidement le fait accompli!

Cependant, je ne suis pas au bout de mes peines car un des passagers a un probleme quelconque qui fait que ses pieds sentent (mais vraiment c'est pathologique!) et ca me souleve le coeur; pour couronner le tout il enleve ses souliers et mets ses pieds a cote de moi sur le banc...Ouf! si c'est vrai qu'on paye pour nos vieux peches, dans ce trajet j'ai du en expier un paquet parce que je me suis fait secouer comme jamais auparavant. La route est par moments en piteux etat, et Sonu, notre conducteur, est talentueux mais cowboy: il aime la vitesse et ne supporte pas de suivre un autre vehicule donc il double tout le monde, ce qui donne lieu a quelques sueurs froides.

Je n'ai pas vraiment dormi cette nuit-la, puisque je n'avais aucun appui-tete, j'ai juste somnole de facon hachuree. A l'aube, nous arretons a Pang, un stop aride a 5000 metres d'altitude: je ne suis pas assez habillee et je frissonne en buvant mon chai. Il y a quelques tentes qui servent a la fois de resto et d'hotel ( si on est assez mal pris). Vers 8h, en prenant un improbable "raccourci", Sonu fait une crevaison, reparee en un temps record. Vers midi, arret dans un minable boui-boui qui sert deux choix: des nouilles style ramen ou du riz aux feves (nul legume a l'horizon). Il pleut. Nous apercevons de nombreux motards et, chose plus surprenante, quelques cyclistes. Je les trouve courageux d'affronter la chaleur, le froid, les montagnes, le traffic et surtout la route tellement abimee!

Nous apercevons dans cette region plus sauvage des bouquetins (est-ce ainsi qu'on nomme des chevres de montagne sauvages?), quatre aigles dores, immenses et majestueux, poses pres du bord de la route, ainsi qu'un troupeau de pres de deux cents chevres domestiques qui nous a temporairement bloque le chemin.
Pres de Tandi, un tres beau village dans la vallee, les montagnes sont faites de strates de rochers de couleurs variees et il y a  de la verdure a perte de vue.

Les cahots sont intenses et on se cogne regulierement la tete au plafond; vraiment j'ai l'impression d'etre dans le shaker d'un barman fou, ou encore d'etre un pois sec dans un maracas, c'est in-croy-able!!! Je me felicite d'avoir pris deux anti-nausee le matin, ca m'evite d'etre malade. Vers 16h30, si pres du but, nous sommes arretes une heure a cause d'un eboulis. Lorsqu'une machine a fini de degager le passage, nous avancons a pas de tortue et ce n'est que boue et glissades. Il pleut toujours, c'est stressant car nous longeons un precipice sans garde-fou, c'est le moment le plus vertigineux de tout mon voyage jusqu'a present!

Finalement, o joie, o bonheur, nous deplions nos carcasses endolories, mission accomplie nous voici arrives! Je me deniche rapidement un hotel (avec douche chaude, luxe apprecie) et j'aboutis dans un resto lounge pour souper; je suis mystifiee car a cause du menu, de la musique d'ambiance et de la tele geante qui diffuse du sport,  je me croirais a Montreal!!! Je lis "The mistress of spices", amusant petit roman de fiction que Jennifer m'a donne. Je dors presque douze heures, merci la vie!

Le lendemain, je recois un massage himalayen, qui consiste essentiellement en acupressions et des manoeuvres a l'huile aussi (assez rapide et moyennement profond, ca me chatouille par moments!). Il a utilise une machine vibrante dans mon dos, ce que je n'apprecie pas beaucoup, mais dans l'ensemble ca ravigote.
(Achete des especes de bagues de massage en inox pour les doigts, ca active la circulation sanguine.)
Achete un vin de poire degueulasse qui goute le vinaigre, deception!  Vu plein de poissons d'argent dans ma chambre ainsi qu'un long centipede velu (euh etait-ce un scuttigere veloce? je me le demande) que je me suis sagement abstenue de tuer malgre un frisson de degout: je l'ai laisse vagabonder a son aise, me disant que les  petite bibittes ne mangent pas les grosses...

Manali ne me charme pas; c'est a la fois trop touristique et trop assoupi. Le lendemain, je marche jusqu'a Vashisht, le village voisin, a la recherche de Coralie, une copine rencontree dans la retraite de vipassana, mais je ne la trouve pas. C'est une agreable promenade, environ 8km, le temps est doux et je profite du bain public: je me trempe brievement dans cette source thermale presque brulante, puis me savonne a fond et me sens comme un neuve, ca detend tout de meme...En revenant je tombe sur Tomer, un autre fellow meditator, il me demande de l'accompagner; il va se faire percer le sourcil et ca le rend un brin nerveux. Il me propose ensuite d'aller dans Parvati Valley le jour meme, bonne idee! Nous prenons le bus local jusqu'a Kasol, soupons dans un resto ou je dois etre la seule non-Israelienne, puis le lendemain encore un bus pour aller a Kalga. C'est un petit village tres tranquille. Tomer ne file pas, je pars seule marcher jusqu'a Pulga, c'est une petite ballade ravissante. Mais Kalga m'ennuie et on decide de se dire au revoir, je repars a Kasol, puis le lendemain Bhuntar et enfin Daramsala (Mc Leod Gange), lieu rempli de Tibetains en exil.

Je me pose au Shanti guest house, a l'ecart de la foule, je dois descendre deux cents marches pour y aller mais ca vaut le coup car c'est pas cher et les gerants, deux freres, sont gentils; on discute autour d'un chai et ils me font gouter leurs parotha au carvi, (pain plat, presqu'une crepe) bien meilleurs que ceux du resto! Je sors et tombe aussitot sur une procession, j'apprends que c'est en memoire de deux jeunes qui se sont immoles par le feu la veille ( 49 personnes se sont supprimees de cette facon au fil des ans) pour protester contre l'oppression chinoise. Quelle tristesse! Il y a une veillee a la chandelle, des prieres. Le lendemain je visite un musee qui tout en m'instruisant m'accable: une sourde colere monte en moi a la lecture de ces faits et statistiques sur un genocide passe sous silence.

Les hauts plateaux du Tibet sont habites depuis environ sept mille ans et cette region fut longtemps un territoire souverain, avec son gouvernement, son aristocratie, ses lois et surtout sa culture propre, fondee sur le Bouddhisme. Pendant au moins 2000 ans le Tibet fut independant. Les monasteres et le gouvernement possedaient la plupart des terres et les fermiers les cultivaient; les femmes pouvaient exercer des responsabilites politiques; c'est une culture basee sur la compassion, la tolerance, le respect de la nature et la simplicite volontaire.

En 1949 la Chine debarque avec ses gros sabots pour "Liberer le Tibet" d'un systeme feodal et faire une revolution patriotique... C'est l'invasion pure et simple: sous pretexte de "revolution democratique", les Chinois ont tue plus d'un million de Tibetains (un sixieme de la population), detruit  6000 temples et monasteres, torture les moines de facon aberrante (crucifixions, enterres vivants, etc). Dans la foulee de l'annexion, des viols et atrocites sans nombre furent commis (ex: enfants forces de tuer leurs parents, femmes enceintes se faisant injecter une substance abortive); il y eut les emprisonnements avec torture systematique, camps de travail, famine, prison, bref un vrai cauchemar de repression sauvage et sans merci. Plus de 100 000 Tibetains ont fui au peril de leur vie, traversant a pied la chaine de l'Hymalaya dans des conditions tres dures (faim, engelures, amputations, voire la mort).

Il y eut une resistance armee de 1950 a 1970, desaprouvee par le Dalai Lama, qui a toujours prone le dialogue pacifique, mais en fin de compte les Tibetains furent submerges. Puis vint la phase sournoise d'assimilation progressive. Les colons chinois inondent le territoire, faisant des Tibetains une minorite en leur lieu de naissance. Leur langue est devalorisee, leur culte interdit, les jeunes doivent apprendre le chinois pour esperer un emploi; c'est la destruction methodique de la psyche et de l'identite d'un peuple. La Chine se targue d'avoir ameliore le niveau de vie alors qu' en realite les meilleures ecoles et hopitaux sont dans les grandes villes et coutent cher, donc inaccessibles aux modestes gens des regions reculees. L'afflux de colons fait que les prix des produits tibetains (agriculture et autres) sont fixes tres bas.  De plus, les hommes d'affaires tibetains sont lourdement taxes...Pauvrete galopante. Ajoutons a cela que la Chine pille et exploite sans bon sens les ressources naturelles, enfouit ses dechets nucleaires, alouette, courant au desastre ecologique a moyen terme. Ou est la justice? Que font l'ONU et compagnie? Nada, rien pantoute! Ca fait plus de soixante ans que le Dalai Lama parle dans le desert quand il demande que leur culture soit reconnue et protegee, que les droits des tibetains soient restaures. J'avais ressenti une grande tendresse en voyant le film "Ce qu'il reste de nous", ainsi qu'une amere impuissance, qui est ravivee par mon sejour a Mc Leod Gange.

Le lendemain, je traine de la patte, deprimee, impression de ne pas etre incarnee...Envie de rien. Je me sens enfermee en moi-meme, dans une solitude fade et sans lumiere. Je me sens comme une coquille vide, terne. Je me rabats sur la lecture: Purple Hibiscus, de Ngozi Adichie (Nigeria) et Train to Pakistan, de Khushwant Singh, qui raconte un episode triste de l'histoire de l'Inde, quand en 1947 on propose de diviser le pays en deux partie: le Pakistan musulman et l'Inde au hindous. Pas si simple...des emeutes eclatent a Calcutta, faisant des milliers de morts en quelques mois, et les troubles s'etendent plus loin, c'est le carnage. Les gens abandonnent leurs maisons pour aller vers des zones ou ils seront majoritaires, c'est la folie: 10 millions de personnes on the road, en pleine secheresse, terreur et massacres, toute l'Inde du nord est armee jusqu'aux dents ou se cache pour sauver sa peau.

Le 15 aout justement, c'etait la fete de l'Independance. Constatation: il y a encore bien des divisions entre riches et pauvres, meme si les castes sont abolies (en theorie) depuis longtemps, et entre religions. Il regne encore trop de prejuges et de regionalismes pour dire que l'unite revee est accomplie. Le defi de la plus grande democratie du monde est de trouver une identite commune qui soit au-dela des divergences de culte ou de langue, une identite pan-indienne qui embrasse la diversite de facon harmonieuse.

Un exemple de probleme actuel: depuis 1985,  il y a  affluence d'immigrants illegaux en provenance du Bengladesh (musulmans), qui provoque une dispute en Assam car les locaux (hindous) se sentent depossedes; cela cree un antagonisme politique, religieux et racial explosif. La semaine derniere, ce qui faisait la une des journaux, ce sont des rumeurs (diffusees en partie via facebook) voulant que, des la fin du ramadan, des musulmans allaient massacrer des hindous (originaires d'Assam)=resultat, 30 000 personnes qui travaillent dans d'autres provinces ont fuit pour rentrer chez eux, par peur d'etre attaques! Les trains furent congestionnes pendant des jours. Lorsqu'il y a des explosions de violence inter-ethnique, on accuse souvent les fauteurs de trouble d'etre Pakistanais. Est-ce vrai? En tout cas, il y eut 75 morts ces derniers mois en Assam, le torchon continue de bruler.... En fin de compte le ramadan est termine et il ne s'est rien passe, la police tente de trouver les gens a l'origine de ces rumeurs malfaisantes.

Je vous laisse avec une citation du Dalai Lama:

"World peace must develop from inner peace.
 Peace is not the absence of violence, peace is
 the manifestation of human compassion."







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire