dimanche 5 août 2012

Saddhus et soldats



Il y a beaucoup de soldats en poste au Kashmir, surtout en peripherie de Sri Nagar.  Cela s'explique par les evenements violents survenus dans le passe:  les chicanes frontalieres entre l'Inde et le Pakistan, qui a tente maintes fois de mettre le pied dans la porte pour annexer le territoire. Selon Asif, aujourd'hui environ 70% des gens souhaitent demeurer avec l'Inde (quoiqu'avec plus d'autonomie). Les dernieres emeutes sanglantes remontent a 2010. Helas, bien des jeunes hommes ont perdu la vie dans des affrontements avec la police ou l'armee. Parenthese: l'islam pratique ici est teinte de soufisme, donc une tradition de tolerance plutot pacifique. Les fauteurs de trouble venaient parfois de l'Afghanistan ou du Pakistan, impregnes d'un islam plus radical.

Le 21 juillet, c'est le debut du ramadan. La veille, les gens sont pris d'une frenesie d'achats, ils prennent d'assaut les bazars afin de s'aprovisionner pour ce mois tres special. La plupart des gens vont donc jeuner, du lever au coucher du soleil, prier bien sur cinq fois par jour et aller a la mosquee ( les hommes seulement).  Les gens plus aises vont s'abstenir de travailler, mais certaines personnes moins fortunees qui travaillent dur physiquement ne pourront pas faire le ramadan. Meme boire est interdit, ce qui est ardu par cette chaleur! J'admire la mere d'Asif, qui jeune et pourtant sert a manger aux autres membres de la famille durant la journee. Ma copine Bisma, qui a 17 ans, a tenu une journee mais a souffert de maux de tete et de palpitations,  ce qui l'a dissuadee de continuer. Mahavish, une autre cousine de 16 ans, dit que faire le ramadan la remplit de joie!

Nous allons a Gulmarg, une station de montagne a quelques kilometres du Pakistan, avec une station de ski et un telepherique qui culmine a 3700 metres. Il y regne une ambiance endormie, un peu tristounette. Le lendemain, nous visitons Pahalgam, la petite route de campagne qui y mene est charmante et cotoie une large vallee traversee par une riviere turquoise, ca respire le bonheur! Nous louons des chevaux mais ils sont bas sur pattes, on dirait presque des mulets! Je vais marcher un peu, ca fait du bien, je me sens revivre. Le temps est ideal, sec et ensoleille avec un vent frais (environ 28C).
Rendus au sommet d'un plateau, la vue est epoustouflante: pas pour rien qu'on surnomme le Kashmir la petite Suisse! Je pense a Heidi et ses vaches... Les habitations locales sont des constructions carrees, basses en rondins et en terre. La promenade en scooter (de 240km au total ) m'a donne mal a la gorge a cause de la pollution et de la poussiere. Le soir, je bois un kalwah, delicieuse infusion de cannelle, cardamome et safran qui apaise un peu mes muqueuses.

C'est ce jour-la que nous avons vu plusieurs pelerins hindous, saddhus barbus tout d'orange vetus (tels ceux apercus a Varanasi). Les babas barbus vont a pied a Armanath pour y voir le fameux lingam naturel de pierre et de glace (symbole de Shiva)dans une grotte a flanc de montagne. Le Yatra attire annuellement plus de 100 000 pelerins, dont quelques-uns decedent a cause du froid ou d'un infarctus suite a l'effort de la montee.

Jour de repos; Asif est occupe de son cote car bientot il ouvre sa propre boutique et il a bien des preparatifs a completer. Je flane en compagnie de la douce Bisma, qui apprend des techniques de massage avec un talent flagrant! Nous bavardons, ecoutons de la musique, jouons au pendu, echangeons des livres, etc. Puis, nous prenons le bus local pour aller a l'internet, elle est toute excitee car elle ne s'est jamais aventure aussi loin sans un membre de sa famille. Je lui achete de la pizza, qu'elle goute pour la premiere fois, puis nous faisons un tour de shikara, sorte de gondole pittoresque, un moment de pure relaxation sur l'immense lac tranquille. J'achete des fruits et des legumes, je suis en manque! Le soir venu, j'acquiers un magnifique tapis fait au crochet qui represente l'arbre de vie, fait a la main par l'oncle d'Asif.

Le matin, typiquement on ne mange que du pain blanc avec du the (sale ou sucre), assez frugal. Le midi on mange les restes de la veille (plats savoureux sans etre excessivement piquants), avec une avalanche de riz blanc: les gens consomment ici chacun 15kg par mois en moyenne! Un lassi (yogourt legerement sale dilue avec de l'eau, excellent pour la digestion) complete souvent le repas, tandis que les biscuits et autres sucreries  sont pris en collation avec le chai de fin d'apres-midi. Le soir est le repas le plus consistant, avec de la viande,  des legumes cuits, occasionnellement une salade de radis, carottes, tomates et concombres. Tous les plats sont en sauce et on se sert du bouillon pour impregner le riz et lui donner saveur et couleur. La mere d'Asif est bonne cuisinere, je me regale.

Le 24 juillet, nous allons a Doodpathri, un endroit peu frequente par les touristes, notamment parce que la route est tres abimee dans les derniers kilometres, mais ce fut mon endroit prefere! En chemin, j'ai rigole en lisant les inscriptions sur les pare-chocs des camions, par exemple: Ready for Risk, Slow drive long life, No girlfriend no Tension, Hell was full so I came back, Wanted, Catch me if you can et Hey baby smile is tax free! Autre bizarrerie savoureuse, vu un endroit qui s'affichait comme "Disaster Management Center". J'imaginais toutes sortes de choses!

En attendant nos chevaux, je fraternise avec des gamins barbouilles et echeveles a qui j'offre des biscuits; leurs sourires timides et leurs rires me charment et ils sont intrigues par les chansons que je leur fredonne! La randonnee de cinq heures sera grandiose et un brin difficile pour les montures: beaucoup de montees et descentes abruptes (il  nous faudra d'ailleurs marcher a plusieurs reprises.) Juste avant d'arriver au sommet, mon cheval a perdu pied et  glisse en s'affaissant, j'ai bondi pour m'ejecter de l'autre cote car j'ai eu peur que nous tombions en bas de la haute pente. Mais il s'est retabli, je n'ai rien eu qu'une poussee d'adrenaline! Il y a des pins gigantesques, c'est magnifique.

Tout en haut: verts paturages, silence, vastes etendues edeniques peuplees par  quelques villageois qui habitent la seulement en ete avec leurs troupeaux. Nous goutons d'excellents rotis (pains de mais) avec du yogourt de buffle. Je vois des myosotis, des fraises des champs, des marguerites, ca me rappelle le Quebec et je suis emue. Non loin habite un saint homme soufi qui vit en ermite dans une grotte depuis des annees.

Nous redescendons, remplis de paix et ressentons encore une petite frousse: en traversant une riviere sur une etroite planche de bois, mon cheval tombe a l'eau (heureusement, je n'etais pas dessus!). Il est emporte un moment par le fort courant avant de reprendre pied et de sortir par lui-meme. Ouf! Impressionnant. Au retour, dans la route de graviers, Asif perd le controle et on tombe sur le cote avec le scooter mais on n'a que des egratignures car il allait tres lentement. J'en ai eu plein la vue ce jour-la, je m'en souviendrai longtemps.

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