mercredi 12 septembre 2012

Avant la tempete, avant la nuit

Avant de vous narrer le trajet qui m'a emmenee ailleurs, permettez-moi de vous citer encore quelques entrefilets vus dans le journal, soit pour leur drolerie ou au contraire leur tristesse: incroyable mais vrai.

Un Chinois en visite au Sri Lanka a tente de voler un diamant de 14 000$ en l'avalant mais aussitot fait, il est arrete et emmene a l'hopital pour y recevoir un laxatif...Un autre Chinois a failli mourir etouffe pour avoir voulu faire une surprise a sa fiancee: il s'est enferme dans une boite et s'est fait livrer chez sa dulcinee; le hic c'est que la course, au lieu de durer quelques minutes a pris trois heures et il etait evanoui lorsque la boite fut enfin ouverte. En Inde, une campagne de prevention du sida utilisait des personnages mythologiques tels Shiva et Parvati pour promouvoir l'usage des condoms, mais ils ont du se raviser devant la colere de certains groupes religieux. A Kolkotta, un fantome seme l'emoi: plusieurs ont apercu des formes volantes laissant croire qu'une portion d'autoroute est hantee, a tel point que des chasseurs de fantomes (ghostbusters) enquetent. Six freres et soeurs, orphelins, ont signe une petition pour demander a un juge la permission de se suicider, n'ayant rien a manger. A Bihar, une jeune Nepalaise, rescapee de trafficants, a ete ensuite violee par le chef de police et plusieurs autres officiers. La police a couvert les trafficants, qui se faisaient passer pour un organisme de charite.  Il existe a Patna une association qui s'appelle: Tortured Women's stuggle Front. (On n'imagine pas au Canada une realite pareille). Enfin, fait inquietant: la Chine parle de la region d'Arunachal comme etant le sud du Tibet et reclame au gouvernement indien pas moins de 90 000km carres de terres! Est-ce ainsi que les hommes vivent, comme dirait l'autre?

Revenons au train de nuit en route pour Varanasi: rien a signaler, j'ai plutot bien dormi et  nous arrivons a 13h30 dans une etuve de chaleur humide, poisseuse. Nous relaxons dans un resto et parvenons a prendre une douche, o luxe supreme, pour constater apres 5 minutes que nous revoila tout aussi trempees de sueur. Peu importe, nous avons goute un peu de repit avant de prendre un bus local. Devant moi se dresse une pyramide imposante de baggages, je me prends a prier pour que le chauffeur ne prenne un virage brusque, sous peine d'etre ecrasee sous les sacs et les valises! On s'installe tant bien que mal pour la nuit: fauteuil non inclinable et  soubresauts de rigueur, innombrables pauses chai; sommeil decousu et cou casse (air connu).

Nous arrivons a l'aube a la frontiere du Nepal et devons reveiller les douaniers qui se presentent en camisole, tout aussi fripes que nous. Nous nous separons, Catie va a Katmandou et moi a Pokhara. Au revoir,  j'espere! Ce fut un plaisir de te croiser sur ma route. J'enchaine avec un autre bus local, qui mettra neuf heures a parcourir 180km... Patience, patience! Heureusement, le paysage est ma-gni-fi-que! Tout est verdoyant et paisible, reposant et accueillant, j'ai des reminescences du nord du Laos, bref  je suis agreablement suprise. Je prends des photos et discute avec un sud Coreen qui apprend l'anglais.

A Pokhara, impression d'etre au paradis; bien que ce soit la deuxieme plus grande ville du pays, c'est calme et douillet a souhait, situe au bord d'un lac et entoure de montagnes. Des buffles, des coqs et des chevres cotoient les rares voitures. Une biere froide et une douche completent mon bonheur d'etre enfin arrivee. Il fait tres chaud, plus que la normale (de 32 a 38C); on cuit au soleil, plusieurs femmes se promenent avec une ombrelle. Apres le souper, je rentre a la noirceur car il y a -eh oui encore- une panne, mais c'est litteralement enchanteur:  les restos sont eclaires a la chandelle, tout est silencieux hormis les rires et les bavardages et des lucioles batifolent par douzaines sur fond de concert de grillons, quelle paix ! Merci la vie.

Je loge dans une chambre un peu vieillote mais calme. Au matin je deroule mon tapis de yoga dans le jardin pour me replacer le squelette. J'ai mal au cou, mon oreiller etait dur comme la pierre, mais ca n'entame pas ma joie d'etre dans ce lieu edenique. Je fais de petites emplettes et savoure un long moment de lecture dans un beau restaurant ombrage. Je devore "Les fleurs de lune", roman de Jetta Carleton offert par Catie, qui raconte le destin de quatre soeurs dans la campagne americaine du milieu du siecle. Je n'arrete pas de me repeter, etonnee et euphorique: je suis au Nepal, je suis au NEPAL!!!

Mardi le 11, donc hier, j'ai fait de l'insomnie (il faut dire que l'orage nocturne etait intense) mais malgre tout j'ai ete tres active. Apres une heure et demi de yoga, j'assiste pour le plaisir a un cours de kickboxing avec Raju (version nepalaise de Brule Lee). C'est defoulant et nous avons droit, Florion et moi, a un cours semi-prive ce qui implique qu'on sue comme des cochons: on tape comme des fous sur un sac de sable et on rigole de nos maladresses, jusqu'a sortir de la lessives apres une heure et demie de "drill" intensive.

Je m'apercois que le gite est rempli de Francais; nous sympathisons c'est fort agreable. En apres-midi nous partons a quatre louer une barque pour traverser le lac et nous en profitons pour piquer une tete, l'eau est delicieuse, je revis! Rendus de l'autre cote, nous grimpons energiquement au sommet d'une colline pour voir la Pagode de la Paix et jouir de la vue panoramique sur les environs. En redescendant, je commence a avoir les jambes molles...Au retour, nous sommes surpris par une averse intense en plein milieu du lac, je chante pour encourager les gars qui rament, luttant vaillament contre le vent  et je ris de plaisir d'avoir la chair de poule. J'arrive detrempee et frissonnante a ma chambre, m'apercevant que ma lessive, restee sur la corde a linge, n'a jamais pu secher...Wet, wet, wet!

 Apres un copieux souper de pizza dans un restaurant un peu cher mais hyper propre,  nous allons dans un "bluesbar" relax prendre une biere. La, nous faisons connaissance avec une bande de joyeux lurons, dont Elysee, un slammeur roux au nom peu commun; Nico, un Francais qui s'en vient bientot habiter en Abitibi (!), un Belge surnomme Hanuman, guide touristique en Inde depuis trois ans, un Mumbayite citoyen du monde et bon vivant ayant une voix parfaite  pour chanter du Jonny Cash, des gratteux de guitare un peu emeches qui fument a la chaine, enchainant des bribes eparses de musique gitane ainsi que d'autres larrons en foire qui- je ne sais comment- reussissent a jouer aux echecs malgre le chaos musical ambiant.

Je recrute de nouveaux boxeurs potentiels pour le lendemain matin et nous prevoyons aussi  refaire de la musique. Amenez vos potes, plus on est de fous, plus on rit! Je m'apercois que l'on me reflete souvent mon cote rassembleur et dynamique (les Israeliens a Rishikesh me demandaient toujours avec un sourire: c'est quoi tes plans aujourd'hui,  Marika? J'etais quasiment leur gentille organisatrice, suggerant moultes activites, mettant les gens en contact et deployant ma persuasion pour leur faire quitter le repaire ou ils passaient la majorite de leur temps assis.)  J'etais comme ca enfant, je me souviens; comme quoi ca a du bon parfois d'avoir la bougeotte!

Le soir, tous les dieux reunis nous pissent sur la tete, resultat: la rue est transformee en ruisseau, je rentre tres high, pas fatiguee malgre toutes les activites du jour, mais j'ai la surprise de m'apercevoir qu'il a plu dans ma chambre, en plein sur un tas de linge, donc 90% de mes vetements sont maintenant trempes mais qu'importe! Je ris lorsque je decouvre un crapaud  gros comme le poing qui s'est installe dans la flaque d'eau au pied de mon lit (par ou est-il entre?). Enfin, dans la salle de bain, je vois deux-trois rainettes grosses comme mon pouce, mignonnes comme tout. (C'est le genre de choses qui arrivent dans une chambre a deux dollars!) Il pleut il mouille c'est la fete a la grenouillle...Je ne m'en plains pas, cela rafraichit l'atmosphere. Ca devrait continuer un bout de temps, les previsions meteo affichent des orages pour les quatre prochains jours!

Ce matin, Raju est arrive avec une heure de retard mais nous avons tout de meme pousse des cris sauvages, donne des coups de pieds et des coups de poing en tout sens, allant meme jusqu'a faire de mini-combats a la fin. Je n'y retournerai pas helas, car je me suis fait mal a une cheville. (Rien de grave je crois, mais comme je veux faire un trek, pas de chance a prendre).  J'ai brunche avec Anna, etatsunienne transplantee en Chine depuis trois ans, on se conte des tranches de vie couchee sur des coussins, dejeuner royal et vue sur le lac.
Me voici sur internet, j'ai tente en vain de telecharger des photos, c'est trop lent. Je savoure tout ce temps libre avant la nuit...

Petit poeme de Jean Rignac en amuse-gueule:

"La peau, la mort, l'eros,

l'enfant, la peur, la faim

Sont de meme nature,

ici, la ou demain."









lundi 10 septembre 2012

OM SWEET OM

Decidement  mon sejour a Rishikesh, plus long que prevu, m'aura fait beaucoup de bien en me rebranchant sur mon corps par le biais du yoga. J'adore suer deux heures par jour a reinventer ma souplesse.  J'apprecie la presence empreinte de patience et d'humilite d'Upendra, qui nous explique inlassablement les bienfaits de chaque posture et  exercice respiratoire. Chanter le mantra Om  a l'unsisson  avec les autres eleves me ramene au centre silencieux de mon etre. Le 31 aout, soir de pleine lune "bleue", (qui designe la deuxieme pleine lune dans un meme mois), nous avons fait une meditation de guerison guidee par Laura, sur le toit de Devi's Ashram, ou nous avons pu admirer l'astre nocturne se levant sur fond de silhouette montagneuse, un moment empreint de douce magie et de serenite.

"Ce qui compte le plus dans votre vie a lieu en votre absence". J'ai pense a cette tirade de S. Rushdie en lisant le resultat des elections provinciales, les yeux en boules de loto, un peu perplexe. Bizarre bazar que cette situation politique comme un tabouret a trois pattes un peu bancal...l'avenir nous dira si nous reussirons un jour a changer le mode de scrutin, ce qui serait sans doute un pas dans la bonne direction. Bon courage Pauline! Je suis en tout cas soulagee de ne pas voir les liberaux reelus. La fusillade me laisse une impression de tristesse et d'irrealite. Je ne peux croire que cette haine entre anglo et francophones va perdurer.

Un apres-midi tres chaud, je lis la porte ouverte pour aerer ma chambre lorsqu'un gros singe male entre et prend une pomme sur ma table, avant de me lancer un coup d'oeil goguenard puis de repartir aussi tranquillement qu'il etait entre! Mefiez vous des macaques si vous venez en Asie; ils sont effrontes et chapardeurs. Des touristes y ont laisse leurs lunettes, voire leur appareil photo. Alex, qui balancait imprudemment un sac de bananes au bout de son bras, a du ceder le tout a un simiesque individu fort determine a repartir avec le lot.  Catie s'est fait donner une tape sur l'epaule en traversant le pont Laxman Jhula, simplement pour avoir ose regarde un de nos "cousins" dans les yeux.

Les vaches, pourtant placides et denuees de malice, peut-etre exasperees comme nous par le traffic ou les moustiques, peuvent sans crier gare nous gratifier d'un petit coup de corne. Daniel a su esquiver de justesse tel un toreador mais Nadia a ecope d'un bleu sur la cuisse.  Coquins d'animaux! Les sympathiques geckos, eux, ne sont que charmants. L'un d'eux, surnomme Georgette par Omer (persuadee qu'il s'agissait d'une femelle), venait tous les soirs nous rendre visite lors de nos "veillees su'l perron" du guest house. Un jour nous avons vu un gros lezard courir pour se mettre a l'abri; il fut trop rapide pour etre photographie, mais il mesurait au moins un metre avec la queue et ressemblait a un varan ( en plus petit). Ah, toutes les photos que   je n'ai pas prises: sourire de la femme avec une dent en or, singe auquel il manque une patte, enfants taquins qui passent comme une volee de moineaux et me saluent sans mendier quoi que ce soit, je me souviendrai de vous...J'ai finis par bousculer ma paresse pour aller au centre ville racheter un appareil photo, nous etions entasses a treize dans un rickshaw (ou l'on est confortable a six, ca donne une idee de la proximite extreme!) avec la sueur qui vous degouline sur tout le corps a cause de la chaleur, c'est quelque chose.

En lisant le journal local, encore des nouvelles violentes et invraisemblables: a Bihar, un homme met le feu a une commercante (a qui il devait deja 30$) parce qu'elle refusait de continuer a lui fournir des cigarettes a credit.  Une femme, voleuse profesionnelle et mariee en serie a une douzaine d'hommes differents en dix ans, se faisait la malle avec les bijoux et argent du pigeon  avant de disparaitre et de recommencer son manege ailleurs. Un couple d'adolescents se suicide car leurs parents, de castes differentes, s'opposent a leur mariage. Un activiste anti-corruption, arrete pour avoir manifeste, declare: si lutter contre la corruption est illegal, eh bien nous continuerons a briser la loi. Un depute dechire sa chemise pour appuyer sa demande, ajournant l'assemblee. (Quel pays dramatique!) Encore a Bihar, une fille de 16 ans est tuee par son pere pour avoir voulu marier un jeune homme d'une autre caste. On ne rigole pas avec ces questions ... Mais la lecture des quotidiens me rappelle aussi que selon la sagesse hindoue, nous vivons a l'age des Tenebres, Kali Yuga, qui aurait commence plus de 3000 ans avant J.C. et durera plus de 400 000 ans; periode de noirceur et de perte des valeurs qui maintenaient la paix, ou il est predit que les hommes s'entre-dechireront.

Un soir, je vais a l'hotel d'en face demander aux Israeliens de baisser le volume de leur musique et je finis, ironie du sort, par passer pres de deux heures a jaser avec eux (moi qui esperais me coucher tot ce fut rate, mais ne dit-on pas: if you can't beat them, join them?). Je fais la connaissance de Mehdi, un jeune Marocain qui voyage hors de son pays pour la premiere fois et qui parle un francais aussi impeccable que son anglais.
Je l'invite a venir a l'ashram le lendemain et il s'avere que c'est l'anniversaire de Neeti, que les enfants du voisinage viennent saluer; l'un apportant un dessin, l'autre des bonbons, une jeune fille lui tresse les cheveux, on l'entoure de tendresse et elle se laisse gracieusement celebrer. Le soir venu, Franco, un Italien exhuberant et tordant (tellement extraverti avec son rire tonitruant, sa gestuelle excessive et ses grimaces comiques) investit la cuisine afin de mitonner des tagliatelles fraiches. Je l'aide de bon coeur et nous faisons mine de nous regaler d'un verre de vin ( il s'agit de coca-cola) et deconnons joyeusement en decoupant les pates et les legumes, aides par Laura. Je me delecte jouissivement de les entendre causer dans leur langue maternelle, si fleurie et musicale.

 Encore un moment de partage, dans la simplicite et la chaleur humaine. Decidement, c'est avec l'impression de laisser une partie de mon coeur chez eux que je leur dis au revoir. Heureusement que le coeur repousse comme la queue coupee d'un lezard, autrement je reviendrais au Quebec avec des fragments au milieu de la poitrine! Car le titre de cette chronique evoque aussi a quel point j'en suis venue a me sentir a l'aise dans ce pays, pourtant si different de ma patrie natale et c'est avec une pointe de deuil que je me prepare a partir.

J'ai commence la lecture de " Benares-Tokyo", d'Olivier Germain-Thomas, recit de voyage en orient.
Il y dit, a propos de l'Inde: Je continue a me croire chez moi, mais avec un sourire. Je sais que le fosse ne sera jamais comble. L'amour propose une semblable enigme. Seuls les mystiques comblent les fosses. Comment? On se tait.

Peu avant mon depart de Rishikesh, je me suis fait lire les lignes de la main, pour le plaisir...d'ou il ressort que je vivrai jusqu'a 92 ans si j'evite la conduite rapide et les jeux dangereux (ex: sports extremes), que j'aurai peut-etre un enfant, que j'ai interet a me concentrer sur mon travail et ma vie sentimentale pour les 3-4 prochaines annees, que je serai prospere a partir de fevrier 2013  et que je me marierai en aout 2014 avec mon ame soeur! Well, well...qui vivra verra, Fulda Bebra!. (Inside joke pour Genou).

Le 7 septembre, Catie et moi prenons le bus pour Haridwar, ou nous avons assiste au Puja du soir: une foule de pelerins se presse sur les ghats pour assister a cette ceremonie rituelle ou des mantras sont chantes, puis des offrandes de fleurs et de bougies deposees au fil de l'eau. Les plus courageux se trempent dans l'eau du Gange pour se purifier, ce qui cree un tableau vivant, colore. Pendant une quizaine de minutes, nous sommes la proie consentante de plusieurs paparazzi amateurs: des couples et des familles entieres souhaitent se faire tirer le portrait avec nous! J'aime l'ambiance animee de la rue principale, en partie pietonne, ou les receleurs de bebelles devotionnelles cotoient les chaiwallas (vendeurs de the). A minuit tapant, notre train s'arrache a l'inertie, direction Varanasi.

"Quand tu aurs enfin visite
 Tous les sanctuaires de la terre
 Tu reviendras chez toi regarder
 La vie dans une goutte d'eau
 Deposee par la pluie d'automne
 Sur une feuille de bananier. "

- Oe Tomatsu

















mardi 4 septembre 2012

Coracao Vagabundo

"Mon coeur en enfance desire et attend l'inconnu."  -Bia

Le titre, egalement emprunte a Bia, signifie coeur vagabond et le tout decrit bien pourquoi, malgre la certitude que tout ce qui est a l'exterieur est aussi a l'interieur, j'ai encore la soif de decouvrir. J'ai entendu dire qu'on ne fait pas de voyage, c'est le voyage qui nous fait  et que peu importe que l'on aille a l'est, a l'ouest, au nord ou au sud, c'est un voyage en soi. "The one who travels into itself travels into the world."  (Shams Tabriz)

De temps a autre, je me souviens des instructions pour pratiquer la pleine conscience (mindfulness) et j'essaie de developper l'habilete a maintenir le contact direct avec mon experience du moment en observant et ressentant dans l'immediat mes pensees, sensations, emotions fluctuantes... Que se passe-t-il ici, maintenant?C'est une pratique d'investigation sans fin, a refaire encore et encore, examiner avec profondeur le quotidien, un instant a la fois...

J'ai feuillete un livre de Deepak Chopra ou il parle de rester jeune tout en avancant en age, certaines idees m'ont frappee. L'un des points cruciaux est la perception que l'on a de soi; par exemple se rappeler que le corps n'est pas qu'un objet solide mais qu'il est avant tout un champ d'energie en constante transformation, non pas statique mais dynamique. Notre realite est le resultat de notre perception: si je me crois capable d'apprendre, de changer ou d'evoluer, alors j'entreprends des actions en consequence. Si je me crois trop vieille pour ceci ou cela, alors j'agis aussi en consequence. En demeurant souple dans notre tete et dans notre coeur, on evite la stagnation et le declin. La cle de la flexibilite selon Deepak est le lacher prise et le pardon, qui permettent de laisser aller la resistance au changement et d' accepter l'inconnu.

Le passe represente le connu et l'inertie, l'entropie. Un attachement au passe accelere le vieillissement, tandis que le sentiment de reel securite decoule paradoxalement de l'abandon a l'impermanence...nous voila revenu en plein bouddhisme!  Il faut se permettre de briser ses habitudes, d'etre creatif et de s'ouvrir aux possibilites infinies qui resident dans le moment present. On peut aussi dejouer l'horloge biologique par l'amour, qui est l'essence meme de la force vitale qui regenere.  Se donner comme mission d'exprimer l'amour dans toutes nos interactions nous amene plus de presence et de joie. Le rire, la legerete et l'esprit de jeu sont des opportunite de re-creation, ou l'on sort des preoccupations serieuses de l'ego, obsede de controle et  domine par la peur de ne pas etre approuve. Bref j'ai decide que si ma prime jeunesse est revolue, ma seconde jeunesse ne fait que commencer! Mishal, l'une des Israeliennes, m'a dit: Ah Marika, on ne t'oubliera pas de sitot, je n'ai jamais rencontre quelqu'un comme toi, you are a free spirit. J'essaie tout simplement d'etre pleinement moi, je veux toutte la vivre ma vie, "pas juste des tit bouttes" comme dirait notre Angele Arsenault!

Depuis que je suis a Rishikesh, curieusement, je ne dors pas bien et me reveille lourde et embrumee. Certaines nuits sont perturbees par le bruit (musique, aboiements) mais cela n'explique pas tout...bizarre.
Je me suis liee d'amitie avec Dominique et Katie dans le cour de yoga, puis avec Nina et Daniel, un couple d'artistes attachants et originaux qui peignent une magnifique murale dans le restaurant de leur hotel. Nous parlons francais, ca fait du bien! Un soir, nous allons ensemble a Devi's ashram pour une session de musique partagee, c'est chaleureux et je me sens energisee.

Un autre soir, nous allons au Moksha cafe ecouter de la musique soufie et c'est une vraie blague! Apres cinq minutes, Daniel et Nina sont partis, exigeant d'etre rembourses.  D'abord les cuisiniers font tant de boucan qu'ils rendent l'ecoute ardue, ensuite deux des musiciens sont tellement geles qu'ils sont incapables de jouer correctement; l'un est pale comme un spectre et menace de s'evanouir, l'autre part dans des impros debiles et deconnectees, un autre se cure le nez, le joueur d'harmonium est maladivement timide alors malgre l'ampli on ne l'entendra jamais chanter et le joueur de tabla repond au telephone en plein concert (soi-disant sacre) et joue d'une main pendant une minute...C'est quoi ce bordel??? J'ai deja entendu de la musique soufie qui te transporte litteralement jusqu'aux cieux, mais la c'etait une grotesque parodie qui ne meritait pas le nom de musique. Pour couronner le tout, les cuisiniers et les serveurs atteignaient un niveau de confusion et d'incompetence rare, a tel point que je suis vraiment passee a deux doigts d'aller me servir moi-meme dans la cuisine! (ca a pris une heure pour avoir du the et un plat d'hummus, apres demandes insistantes et repetees) C'est ca aussi, l'Inde mes amis!

J'ai eu le cours de yoga le plus desagreable de ma vie, au Sivananda ashram, donne par une petite nonne dessechee qui paraissait frustree et aigrie. Elle nous corrigeait comme un robot en nous replacant le corps sans menagement, (voire avec un soupir exaspere), nous redressant les membres d'un geste brusque qui nous faisait craindre son approche et rendait la relaxation impossible;on se regardait deconcertees et on avait peur d'elle!

Je me suis regalee a la lecture de Salman Rushdie: les enfants de minuit; un roman suberbement ecrit qui decrit la vie d'un etre singulier dont le destin loufoque est lie a celui de l'Inde car il est ne a minuit, le jour de l'Independance. Un plaisir incroyable a relire parfois certains passages tellement j'aimais son style. C'est donc un recit fantaisiste, fantastique et foisonnant a souhait mais tout de meme instructif. Par exemple j'ai appris qu'a Bombay lors de la prohibition, la seule facon de se procurer de la boisson etait d'avoir un certificat medical attestant que l'on etait alcoolique, comme c'est etrange!

J'ai finalement  visite l'ashram des Beatles un jour de soleil avec les copines d'Israel, c'etait un lieu avec du charme,entoure de verdure;  nous avons vu la petite cabane ou John a sejourne et ecrit des chansons; quelqu'un y a peint une murale. Lorsque le soleil sort et plombe, la chaleur monte considerablement, je prefere les jours de pluie! Nous retournons a la chute d'eau nous rafraichir, en compagnie de Bart, un mec tres drole qui trippe sur les bonobos (singes tres actifs sexuellement) . J'ai aussi decouvert un fait culturel surprenant: les Israeliens se content des jokes sur l'holocauste...par exemple: pourquoi Hitler s'est-il suicide? A cause de la facture de gaz...oui mais ne le repetez pas, car ils ont le monopole de ces blagues!

Un matin je prends une lecon de chant avec  Neeti, nous faisons des vocalises a l'indienne, elle m'accompagne a l'harmonium, c'est agreable. Je lui ai donne un massage en echange.  Un autre jour, Daniel nous donne un atelier de mouvement, nous pratiquons la chute. Puis hier ce fut la suite, nous avons danse en solo, duo ou trio dans une improvisation inspiree par la musique, ou le theme etait la rencontre et ou l'important etait de ne pas faire le mouvement mais de laisser emerger les sensations et les impulsions venant de l'interieur... J'ai eu beaucoup de plaisir, vraiment je me suis eclatee et apres j'etais sur les endorphines, malgre les courbatures. Nous avons mange des sushis vege dans un resto tenu par une japonaise. Katie et moi achetons un billet de train pour aller a Varanasi, et de la au Nepal, le 7 septembre.

Aujourd'hui, jour d'elections au Quebec, je me sens concernee et mal a l'aise, puisque je n'ai pas reussi a voter. En effet, je ne pouvais voter que par la poste et comme je bouge sans arret et j'improvise mon voyage, j'ignorais ou et quand je me poserais assez longtemps pour recevoir mes documents. De plus, rien ne garantit que j'aurais recu l'enveloppe, puisque je n'ai jamais vu la carte de fete de Genou; les postes indiennes semblent a moitie fiable. Bref j'attend le resultat du vote avec curiosite. Ce matin je me suis levee fatiguee, avec la gorge comme un debut de rhume, donc je vais me reposer.

J'aimerais vous laisser avec un court poeme que j'aime beaucoup:

"La mort fait peur
quand on la voit en face
Par derriere
elle est toute beaute, innoncence soudain.
Masque de carnaval dans lequel
quand minuit est passe tu recueilles de l'eau
pour boire ou te laver de toutes tes sueurs."

Milan Rufus