mercredi 14 novembre 2012

The road never ends

Le 12 novembre vers 21h, j`ai pris un taxi pour l'aeroport de Den Pasar et en voyant le panneau: DEPART vols internationaux, j'ai senti mes tripes se contracter et c'est le coeur un peu lourd que j'ai effectue les diverses etapes qui menaient au decollage vers minuit. J'etais en avance, j'ai donc flane de-ci de-la en depensant mes dernieres roupies, pensive. Je ne me sens pas sereine.  J'avale des litres d'eau car un debut de mal de tete me taraude. (Mon sac a dos fait de l'embonpoint, il pese a present 17kg!)

Korean Airline a de la classe! Les agentes de bord sont ravissantes, tirees a quatre epingles avec leurs petits chignons et leurs jupes serrees.  La nourriture fut remarquable, nous avons meme eu un verre de vin rouge. Le premier troncon durait sept heures. J'ai regarde "Frisson des collines" et verse quelques larmes.

A Seoul, aeroport stylise et chic, je deguste un jus a la poire et au citron, un peu melancolique. Je m'etire les jambes avant le vol pour Toronto, le plus long (13 heures). Je trouve un ordinateur et Facebook a failli me faire rater l'embarquement, je me suis pointee 10 minutes avant le decollage! Acte (quasi) manque?
Durant ce trajet je cogite un peu trop, ne reussis pas a dormir, nerveuse. Je m'etourdis en regardant plus de films en une demi journee que dans la derniere annee: Out of Africa, Madagascar, un film de danse: a tout coup, je pleure! Je suis a fleur de peau.

J'arrive a Toronto dessechee, j`'ai mal aux yeux et la peau du visage me tire; j'ai une sale tronche et je me sens moche.  J'ai un petit moment de stress car je ne retrouve plus mon portefeuille, avec 200$ US dedans. Je fulmine en me disant "caline j'ai voyage un an dans des pays pauvres et ne me suis jamais fais voler, j'arrive ici et..." Oups! je ravale mes invectives: il etait dans une pochette que je ne connaissais pas (j'ai echange mon sac a dos avec celui de Dindin). Je prends un bon petit dejeuner, j'oublie mon journal de voyage dans le resto et la serveuse me retrouve pour me le rendre, j'apprecie le geste. Apres le repas, la fatigue me tombe dessus comme une tonne de ciment; je cogne des clous.

Le vol pour Montreal m'a paru durer cinq minutes car j'ai roupille, malgre le bebe qui braillait juste a cote. En posant le pied en sol Quebecois j'ai enfin la petite bouffee d'excitation et la joie d'etre de retour a la maison, alors que je n'avais rien ressenti a Toronto. Comme quoi le sentiment d'appartenance est visceralement relie au territoire connu. Je n'ai jamais pose les pieds dans l'ouest canadien, jamais vu les rocheuses, donc pour moi c'est un lieu inconnu, plutot lointain. Parait que c'est beau et oui j'aimerais y aller un jour certes, mais quand un Francais m'interpelle "He, la Canadienne!" ...va savoir mais ca m'agace. Je prefere entendre le mot qui rime avec framboise. La Quebecoise. (C'est plus sensuel, non?!)

Je prends un taxi, file chez Anne-Marie et me regale de l'air frais qui remplit mes poumons. Je suis contente de la revoir avec sa magnifique petite famille. Je me sens bien accueillie, comme toujours; chaleur humaine, bisous aux enfants et repas royal. Je suis abrutie de fatigue et je dors douze heures comme une marmotte chloroformee. Mon organisme est completement a l'envers, je suis un peu etourdie par le decalage horaire (treize heures de difference). Mais contente, finalement, oui....Home sweet home!

Bientot Quebec et un surcroit d'emotion, sans doute. J'ai envie de dire que ceci n'est pas la fin du voyage, puisque la vie au complet est une aventure; en tout cas je me souhaite d'avoir le courage de la vivre comme telle. Il y a des jours ou j'ai des paroles de U2 qui me trottent dans la tete "I still haven't found what I'm looking for..." et d'autres ou un grand eclat de rire  monte en moi devant le spectacle de la partie anxieuse de mon etre; c'est la fameuse blague du poisson qui cherche l'ocean, car en fin de compte, ce que je suis peut seul me combler.

"AS SOON AS YOU RESIDE WHOLLY IN YOURSELF,
 YOU HAVE THE WORLD."  

Sarah Jenkins


samedi 10 novembre 2012

Life is a journey

Le 4 novembre au matin, je suis chiffonnee et irritable. J'ai tres peu dormi a cause d'une douleur grandissante a l'oreille ( la veille, j'avais a peine pu mastiquer tant c'etait enfle!) Direction: hopital en taxi, et o chance inouie, j'ai vu une femme medecin qui parlait anglais et en moins de trente minutes, j'avais en poche les medicaments qui allaient me permettre de prendre l'avion en toute securite dans quelques jours.

Je suis ensuite allee au palais royal assister a une seance de danse traditionnelle, envoutante et lente a souhait. Les femmes sont belles et gracieuses, leurs gestes precis et mesures, tout en subtilite et sobriete. Le gamelan (ensemble de percussions propre a l'Indodesie) acheve de m'hypnotiser en douceur.  Je passe pas mal de temps sur internet ce jour-la.  Je discute avec des etudiants du secondaires, ils adorent parler anglais. Ensuite, je lis dans ma chambre et me repose en profitant de la piscine (sans mettre ma tete a l'eau evidemment). Le soir, j'assiste a un spectacle de marionnettes (theatre d'ombres): une curiosite mais qui perd de son attrait apres une heure, etant donne que la narration est en indonesien et le jeu est visuellemtn tres statique; ajoutez a cela une Marika qui manque de sommeil et vous obtenez une spectatrice somnolente!

Un matin, je me leve a  4h30 pour aller a Borobudur, un site bouddhiste ancien et assez imposant mais pas si epoustouflant apres avoir ete a Ankor Wat! Par contre, j'ai passe un agreable moment a bavarder avec une bande de jeunes etudiants, leur gentillesse et leur niveau d'anglais m'ont epatee. Ce jour-la, je quitte Yogya pour aller a Solo, epicentre de l'identite javanaise et lieu de tradition, bref une des villes les moins occidentalisees de l'ile. J'y vais en train, plutot agreable mais il fait terriblement chaud la-dedans, car il n'y a pas de ventilateur et les fenetres ne s'ouvrent que tres peu. Je m'amuse avec deux fillettes et somnole en lisant un roman policier. D'habitude je n'aime pas ce genre, mais je dois avouer que ce thriller est reussi (Sophie Hanah).

Je prends le premier gite du bord, Mama homestay, correct sans plus. Je deambule au marche local et je ressens effectivement une atmosphere plus ancienne qu'ailleurs; il y a peu de touristes et beaucoup de personnes agees vetues de facon traditionnelle. J'assiste a une pratique: des dizaines d'enfants de tout age, garcons et filles, s'entrainent a danser des choregraphies typiques de Java ou de Bali. Un prof jase avec moi et m'explique que c'est assez populaire chez les jeunes. Heureusement, leur heritage culturel ne risque pas de disparaitre trop rapidement! Il y a aussi quelques adolescentes gracieuses et dynamiques qui font un truc plus moderne. Pour souper je me dorlote en allant dans un resto italien haut de gamme: mon plat de raviolis coute plus cher que ma chambre (!) mais oh la la quelle symphonie de saveurs! Il y a longtemps que j'avais goute du vrai pesto, du bon parmesan et quelque chose de si raffine a me mettre sous la dent...j'en suis presqu'emue!

Je fais un peu de yoga et de magasinage et visite rapidement le palais a l'abandon, oubliable! Je mets du temps a reperer un cybercafe, je m'y refugie quelques heures, avec les aleas d'une coupure de courant. Il fait vraiiiiment tres chaud, je suis vaincue, je n'ai pas l'energie d'en faire plus!  J'ai vu un postier a moto, avec kit orange (sac, veste, moto et casque, ca frappe!), un travesti trop maquille qui quetait dans les commerces en chantant d'une voix peu convaincante et un duo voix-clavier qui assenait aux clients d'un petit resto exterieur leurs terribles chansons sentimentales. Je me paie encore un assez bon resto, chic et climatise, ce qui n'empeche pas  un petit rongeur de froler mes pieds...je ne dis rien, a quoi bon? Un couple de jeunes asiatiques, beaux et richement vetus, attire mon attention: assis cote a cote sur une banquette, ils sont profondement absorbes chacun sur leur i-phone et ne s'adressent pas un mot pendant une bonne demi-heure...

Je prends un bus de nuit pour aller a Cemoro Lawang, petit village tres tranquille, voire ennuyant. Son seul charme est la fraicheur qui descend sur nous le soir venu (o jouissance) outre le fait que c'est le point de depart pour voir le Mont Bromo, un volcan en activite dans un paysage vaguement lunaire.  Je me permets une biere, maintenant que les antibiotiques sont termines, puis me couche tot , car le lendemain a 4h mon jeune guide est au rendez-vous pour m'emmener a moto voir deux lieux fascinants.

D'abord le mont Penanjakan, ou je dois grimper un brin pour assister, avec une bande de joyeux lurons javanais fort bavards, au lever de soleil sur le Bromo et son voisin spectaculaire, le Balok (si ma memoire est bonne), un cone impressionnant et photogenique.  Ensuite, en route pour aller mettre le nez dans le cratere fumant du volcan, assez inoubliable! Certains y vont a dos de cheval, moi je ne suis que trop contente de marcher et de monter des escaliers, ca fait du bien apres tous ces trajets de train et de bus. Au retour, Dian s'enerve un peu trop avec l'accelerateur et nous derapons dans le sable (ou plutot la suie) et la moto tombe au ralenti sur le cote, mais aucun mal car il a su controler la chute. Mon cowboy amateur se confond en excuses, il tient tout de meme a son pourboire...

Je fais mon sac en vitesse et espere avoir un transport assez tot car j'ai une longue journee de route devant moi pour aller a Bali. D'abord, je deniche un minibus local hyper lent qui m'emmene a Probbolingo, ou je dois acheter un billet de bus pour Den Pasar, puis je vais manger une bouchee et un homme arrive en gesticulant: miss, venez avec moi, votre autocar est en avance! -Quoi? Il est seulement 10h30 et on devait partir a midi...perplexe, je le suis et en effet, voila le bus; c'est bien la premiere fois que ca arrive! Heureusement qu'il m'a trouvee car c'etait le seul depart avant le lendemain. Certains touristes n'ont pas de siege, apparemment ils ont survendu. Enfin nous partons, helas l'air climatise fonctionne a une fraction de ses capacites, il fait...collant a bord. Mon voisin prend de la place et pue des pieds, c'est la vie. En apres-midi, une pause bienvenue: nous prenons le traversier pour changer d'ile, revoici Bali la douce, ca fait du bien de voir a nouveau l'ocean. Je suis soulagee de penser que les longs trajets terrestres sont derriere moi! En arrivant a Sanur, je partage un taxi avec un citoyen britannique, nous allons a Sanur et j'aboutis au meme hotel que l'an dernier et, par hasard, dans la meme chambre! La boucle est bouclee.

C'etait hier; aujourd'hui je suis a fond dans les preparatifs: lavage, derniers achats, provisions en vue des 24h de deplacement a venir, verifier les heures de vol, envoyer des courriels, mettre a jour mon blog, recevoir un dernier massage et  savourer les derniers moments dans la chaleur dense et les somptueuses odeurs de frangipanier. Le voyage continue, je considere mon retour comme un autre chapitre, pas encore ecrit, de cette aventure a l'autre bout du monde.







Parce que!

Il y a pres de 365 jours, juste avant le grand depart, j'ai laisse en suspens  cette question:
pourquoi partir un an?  

Depuis mon tout premier voyage en Europe a dix-neuf ans (Coude und Genou im Deutschland!) j'ai la piqure du voyage, voila: le virus est dans mon sang, je ne peux rien y faire! Curiosite, reve d'exotisme, gout de la decouverte: l'aventure, tant exterieure qu'interieure, me tente encore et toujours. Aprofondir ma connaissance de l'Autre, decouvrir l'Asie, continent qui me fascine au plus haut point dans toute sa splendeur chatoyante mais aussi sa misere; accepter d'etre temoin de la souffrance de certains des plus demunis de la Terre, d'avoir le coeur et la gorge serree a la vue de l'injustice.

Etancher ma soif d'horizons et l'avalanche sensorielle qui vient avec: depaysement tout azimut, seduction et repulsion, ivresse et deception melangees; froler parfois l'overdose de stimulis, exulter souvent et rager parfois mais continuer d'avancer vers l'inconnu et l'inedit afin de savourer la diversite du vaste monde. Accueillir l'idee meme d'inconfort, voire de risque; la precarite qui garde eveille. Quitter  emploi stable et appartement, laisser derriere moi les etres chers et trouver mes racines exactement la ou sont poses mes pieds, a l'instant meme.

Relever un defi, celui d'etre seule a l'autre bout du monde. Realiser un fantasme: etre totalement libre de mon temps, degagee de toute obligation, pouvoir deambuler au gre de mes envies... Griserie de la derive, de la spontaneite, de l'improvisation. La grande recreation, quoi!  Oui, litteralement pour me donner une occasion de me re-creer, me reinventer, de brasser les cartes de ma vie et qui sait? de voir naitre de nouvelles avenues (nouveau travail,  lieu de vie, nouvel amour?). En prenant du recul je change de perspective, j'acquiers un regard renouvele sur mes origines, un regard a la fois sainement critique et  bienveillant. On m'a encore exhortee a continuer de chanter (a plusieurs reprises) et c'est vrai que ca manque dans ma vie. Puis j'ai une offre d'emploi interessante dans le domaine du voyage au retour, a suivre! Mais je continue bien sur en massotherapie, qui demeure ma passion et me fait sentir utile.

Aller voir ailleurs si j'y suis? en un sens, pourquoi pas!

Sortir de mon cadre de reference, de mes habitudes, de mes identifications et voir ce qu'il reste... Me sentir vivante dans l'immediat, sans agenda ni plan precis, au rythme de mes caprices,  luxe rarissime! Qui suis-je? Un humain en voie de transformation, une femme en recherche de tendresse comme de transcendance, une ame en quete de sagesse, creature changeante; parfois anxieuse et parfois extatique, morose ou ravie, bien ou mal lunee, ordinaire quoi! Je les ai vus en face, mes nevroses et mes bobos, mes reflexes conditionnes, mes forces aussi, pendant cette annee sabbatique. (Je peux vous dire qu'il y a encore deux-trois trucs a travailler avec mon psy en revenant). Me replonger dans la spiritualite par le yoga, la meditation, des lectures, un sejour dans un Ashram (mission partiellement accomplie.) Donner un repit a mon corps, qui a travaille fort en masso depuis 14 ans! (j'ai ete a la fois oisive et occupee a visiter, donc ca va!)

C'etait un reve depuis quelques annees, d'explorer cette partie du monde pour une longue periode. Au printemps 2011 j'ai vecu une separation, puis en aout Arnaud Desjardins est mort, en plus de tout ca le fameux  bilan de la quarantaine en perspective...enfin j'avais de l'argent de cote, une bonne sante et l'inspiration-coup de pouce de Genou et me suis dit: pourquoi pas maintenant? Allez! J'ai enclenche les preparatifs et deux ou trois mois plus tard, je m'envolais.

Ce voyage confirme mon penchant pour une vie simple sur le plan materiel; pas besoin de beaucoup pour etre heureuse.  Je pourrais vivre a l'etranger...s'il ne fait pas trop chaud. Je m'adapte facilement et surtout je me cree rapidement des liens, je me fais aisement des amis. Ma famille elargie, c'est l'humanite! Je peux etre a l'aise un peu partout.  Je tiens plus a ma liberte qu'au confort. C'est LA chose que je nomme toujours en premier quand on me demande de parler du Canada: la somme de libertes individuelles dont on peut jouir, autant les hommes que les femmes. Ca n'a pas de prix!

J'ai aime rencontrer les voyageurs au long cours, des gens avec beaucoup d'experience sur la route (de deux a sept ans de bourlingue dans certains cas), lecon d'humilite et de debrouillardise. Des gens aux vies riches, mouvementees, audacieuses, uniques. Tres inspirant! J'ai adore rencontre les "locaux", leur gentillesse souvent m'a eblouie et leur hospitalite est emouvante. Sourires ensoleilles, dents blanches ou dents cassees, mais surtout coeurs ouverts a l'echange, humanite chaleureuse et inoubliable. Ils ont beaucoup a nous apprendre, notamment sur le plan de la solidarite, du partage et de l'entraide. Ca peut sembler cliche mais c'est trop vrai pour le taire!

J'ai pris quelques cheveux blancs dans ce periple, signe de sagesse ou de fatigue? Ce sera a vous d'en juger! Je n'ai pas ete transformee du tout au tout mais, disons, agreablement bousculee. Je sais que je veux faire une difference sur  Terre avant de mourir, aider les moins nantis que moi. Comment au juste? Je l'ignore pour l'instant mais au moins faire du benevolat au Nepal avec les enfants, puis oeuvrer pour les droits des femmes, voila mes deux premieres idees. "Becoming a true human BEING rather than merely a human DOING".

Bref je reviens...same same but different!







samedi 3 novembre 2012

ENDLESS SUMMER

 "C'est quoi etre profond? 
 -La profondur est une disponibilite."      Olivier Germain-Thomas.

Bien bien bien, me voila a nouveau dans les serres d'un soleil impitoyable ayant pour complice un taux d'humidite a faire friser les poils d'un balai. Soit. J'avais vu un panneau vantant les merites de l'Indonesie a Bali en novembre 2011 qui montrait un ciel bleu sous lequel on lisait: Endless Summer, ce qui a mes yeux representait plus une malediction qu'une promesse. Que voulez-vous, j'aime savourer quatre saisons distinctes, j'aime la fraicheur qui ravigote, le froid qui mord, le vent qui pince, les tempetes de neige,  le printemps fougeux et l'automne contemplatif... Tres bientot, je serai de retour dans le climat quebecois.

 En vrac:

"L'orient a choisi l'ephemere, une perte incessante qui ne suscite aucune angoisse. C'est ainsi."
"Comprendre les autres?  D'abord regarder ses propres coutumes comme une fiction."
"Le diable est l'ombre de l'ange. L'angoisse provient d'un desir sans espoir. Plus de desir, plus de nevrose."
"Bientot  je quitterai ma peau  sans avoir connu  le corps de lune."  (haiku)      O. G.-T.

"Ce qu'il y a de plus profond en l'homme, c'est la peau."  Paul Valery

"Elle se sentait a travers lui. Sentait sa peau. La maniere dont son corps n'existait
qu'aux endroits ou il la touchait. Ailleurs, il n'etait que fumee."   Arundhati Roy

Karate veut dire: mains vides...

"Si on arrive, tant mieux, si on n'arrive pas, tant pis!"  (comptine thailandaise)

"Watch the point at which you become unlovable to yourself. Then be very, very kind.
 This is where the practice of compassion begins. The willingness to look rather than to turn away is in itself acceptance... Plunge into whichever feeling arises in yourself, be ready for anything, like a zen warrior!" Sarah Jenkins

"Death is always there watching, waiting. But the one who dies each day is beyond death. TO DIE IS TO LOVE.  Meditation is dying to the known. Complete attention is love. Desire and pleasure end in sorrow. Love has no sorrow. Death is only for those who have a resting place. Have no shelter outwardly or inwardly; have a room or a house but don't let it become a hiding place, an escape from yourself." Krishnamurti

"On the other side of fear lies freedom."    (?)

Djinn tonic, quelqu'un?! En comparaison avec nos freres d'orient, nous occidentaux avons perdu le sens du secret, de la magie, du mystere... Nos vies aseptisees, super-mega-organisees, planifiees et orchestrees au quart de tour et a la minute pres ne laisse plus de marge pour l'imprevu, l'irrationnel, le chaos! Autre chose: chez nous il n'y a pas de castes...vraiment? Euh je m'excuse de vous gacher votre party mais que faites-vous des strates sociales basees sur: le revenu, le niveau d'etudes, la sorte de travail que vous faites, bref votre cote a la bourse du succes personnel?! Je me souviens qu' un jour un NARTISTE de conservatoire avait leve le nez sur Carl parce qu'il est cuisinier. Ca fait longtemps, d'accord mais je me rappelle aussi de l'air ahuri d'une ex-connaissance du secondaire dont la machoire s'est presque decrochee quand elle a su que j'etais...pfff, massotherapeute?!  (c'est pas un metier de cancre, d'illetree, ca?)  Ahem.

Sans oublier les diktats de notre belle culture virile ou l'on se doit de toujours etre fort, competent, autonome, efficace, en controle, heureux, prospere et en sante en permanence sous peine de devenir une sorte d'intouchable virtuel. On s'est debarrasses de plein de superstitions moyennageuses (et c'est tant mieux) mais pourquoi diable croit-on encore que les cotes d'ecoute sont un gage de qualite, que si une personne est connue elle est forcement superieure, que "plus de gens en mangent parce que ce sont les meilleures et que ce sont les meilleures parce que plus de gens en mangent (des conneries, pas juste des saucisses highgrade)? Je pooose cette question, a laquelle, comme dirait Boris, personne ne repond...et je bois...du Djinn Tonic. Sante! Tchinn-tchinn.

Jakarta (20 millions avec la banlieue),tu me tues a petit feu avec ton feroce monoxyde de carbone a la volee...Quelle poisse d'etre degoulinante de sueur des neuf heures du matin, lourde d'un sommeil pateux, assommee mais pas reposee. Malgre tout, marche ma fille, marche! (Attention aux trottoirs defonces et aux conducteurs forcenes) Visite le musee national, remarquable, avec Carolina une guide colombienne charmante. Diner de calmars (beau bon et pas cher) dans un boui-boui. Je me promene ensuite a Kota, la vieille ville coloniale en compagnie de Petr (de Republique tcheque), puis tente d'aller au port mais c'est deprimant, a la limite du glauque (taudis puant le poisson pourri) alors on se refugit un instant dans un centre d'achat hallucinant (avec six cent soixante-quinze boutiques identiques qui vendent toutes la meme chose: des ordis, i-pods et /ou cameras!) pour boire un cafe glace a l'air climatise, survie oblige.

Visite un parc d'amusement desert, drole de concept: verdure, stands d'artisanats fantomatiques, et surtout hauts-parleurs diffusant une soporifique musique new age javanaise, troublant... Looong trajet de bus a l'heure de pointe: nous mettons une heure trente a rentrer a l'hotel, malgre la voie reservee pour l'autobus! Le soir je n'ai plus de jus dans les jambes, plus rien dans le carburateur. J'avais pense sortir, car c'est ici que ca se passe le clubbing en Asie du sud-est (certaines boites ouvrent le jeudi soir et fonctionnent non-stop jusqu'au lundi matin!). Tant pis. Je bois une petite Bintang peinarde a l'hotel et essaie de dormir malgre le tintamarre religieux, les percussions et les chants discordants lances a pleine gorge par des gamins mi-puberes (a la voix felee) dans des amplis de la deuxieme guerre. Une celebration se prepare. L'Indonesie- capsule culturelle- est le pays musulman le plus populeux au monde, mais aussi une etonnante mosaique culturelle, avec ses 300 groupes ethniques et plus de 700 langues. Nation aux 17 000 iles, dont quelques milliers seulement sont habitees. Voila.

Le lendemain, je me leve avec la grace d'une enclume et l'humeur au ras du caniveau, (ou je faillis d'ailleurs marcher sur un rat) et la vision que j'ai une minute plus tard acheve de me mettre de mauvais poil (c'est le cas de le dire): un monceau de fourrures melees dans la rue me barre le chemin, enorme tas d'animaux morts ensanglantes, chevres, coqs et vaches egorges et empiles pele-mele, offerts en sacrifice. Mon coeur et mon estomac se retournent dans leurs cavites respectives. Je suis a cran. Il est 9h, je sue comme une Walkyrie hypocondriaque dans un sauna, je suis tendue et frustree car les agences de voyage sont fermees a cause de ce jour ferie et pour couronner le tout, j'ai des crampes suspectes: etait-ce le poulet d'hier soir? (Misere! moi qui mange rarement de la viande en voyage, j'avais confiance en ce resto de sate qui semblait propre comme un sou neuf.)  Rhaaa! Prends sur toi, Marika. Respire. Shanti Om. OOOOOMMMMMM...

Je decide d'embellir ma journee et j'invite Carole, une sympathique Francaise cameraman de son metier, a venir avec moi a la piscine de l'hotel Formule 1. Riche idee, car malgre ses  dimensions olympiques  il n'y a que cinq quidams qui barbotent dedans. A nous la fraicheur! Excitee d'etre a nouveau dans mon element, je fais 50 longueurs (qui en valent 100 au centre Lucien Borne), ce qui me detend enormement. Je revis! Yah!
Je reussis a trouver une agence ouverte et j'achete un billet d'autocar pour quitter Jakarta des le lendemain.
Reveil en catastrophe: je suis passee tout droit (mis la sonnerie du cadran a 16h au lieu de 4h)! Je sprinte a l'agence et o joie: mon motard attitre m'attendait encore pour m'emmener a la gare d'autobus, coup de chance. Je ne veux pas rester un jour de plus dans ce chaudron de Gargamel!

En route dans un bus moderne et confortable, malheureusement il n'y eut pas de pause-repas donc j'ai tres mal mange; grignote des chips et des biscuits. Trajet d'environ sept heures pour arriver a Pangandarang. Un rabatteur m'emmene a l'hotel Panorama a la Plage, qui etait tenu par un Francais, helas mort il y a deux mois dans un accident de moto. Sa femme Tika, 35 ans et  nouvellement veuve, doit tenir le fort toute seule. On voit a sa bouche pincee et ses yeux tristes que c'est difficile. Je comprends pourquoi elle m'avait semblee froide au depart. Je lui prends la main et ressens beaucoup de compassion, elle pleure un peu en parlant des evenements recents. Je vais marcher avec elle sur la plage.

Je tombe en plein party d'amateurs de vespa: il y a de l'animation en masse et une foule de jeunes gens a l'air cool tout de noir vetus, de la musique a tue-tete (juste a cote de mon hotel) et des demonstrations de moto et divers concours en delire suivis d' une apotheose de bruit et de petards qui se prolonge jusqu'a une heure du matin.J'ai les pieds tres enfles par la chaleur et l'immobilite. Je vais nager dans la mer puis prends enfin un vrai repas et me mets au lit avec d'impotents bouchons dans les oreilles et un oreiller sur la tete.

Le lendemain, je me joins a un petit groupe qui va faire une excursion avec Dindin, un guide de 41 ans fort charmant qui parle aussi bien francais qu'anglais; assez couramment en tout cas pour pouvoir citer Prevert, chanter du Francis Cabrel ou du Michel Fugain, faire de l'humour et placer le mot dithyrambique dans une conversation... My, my, je suis epatee!

La journee commence par la visite d'une plantation de cocotiers et d'une degustation du sucre tire de la fleur de ce palmier prolifique, qui goute un peu la melasse. Ensuite, direction Green Valley ou nous barbotons a loisir dans une riviere verdoyante, sautons d'un rocher, nageons dans une petite cascade puis une grotte, etc. Apres le diner ce fut le moment fort de la sortie: Green Canyon, vraiment spectaculaire! On prend un petit bateau pour se rendre a cet endroit magique, colossal, ou nous avons nage contre le courant avant de le redescendre, entoures de hautes parois rocheuses et nous avons du parfois escalader des rochers au risque de s'ecorcher.  L'eau etait fraiche, c'etait exaltant! Retour en scooter et arret a la plage de Batu Karas, paisible village de pecheurs et lieu de surf. Nous avons  aussi vu une fabrique de marionnettes en bois, ou j'ai appris a ma stupefaction qu'une seule personne manipule les centaines de personnages (et recite les longs dialogues) pendant  le spectacle, qui dure traditionnellement  toute une nuit. Ouf, quelle performance!

Le lendemain, Dindin est en conge et c'est son anniversaire alors malgre mes protestations il m'invite au restaurant (c'est la coutume en Asie, l'inverse de chez nous!) puis nous allons marcher pres de quatre heures dans le parc national, une magnifique foret protegee ou nous ne rencontrons nul humain mais moult creatures, telles: cerfs, petits macaques gris et grands singes noirs mangeurs de feuilles, des toucans, des chauves-souris geantes par centaines et plusieurs especes d'arbres (tek, ficus, rotin) ainsi qu' une fleur aussi enorme qu' etonnante qui pue les ordures et pourrit apres trois jours. On se fait tremper par une averse soudaine et bienvenue, qui nous rafraichit de pied en cap.

Le 31 octobre c'est la pleine lune, la ville est redevenue calme, je me sens paresseuse et d'humeur vaguement bleutee... J'ai bien dormi mais n'ai pas d'energie. Je me remets au yoga apres quelques jours d'abstinence.
Je lis "Le dieu des petits riens", d'Arundhati Roy, une auteure indienne marquante. J'adore son style et aussi sa facon de ficeler l'histoire, c'est tout simplement captivant, un vrai coup de coeur. Je glande, je traine.

Le 2 novembre, je prends un train pour Yogyakarta. Chaleur intense a bord, c'est long, le train a du retard. On met encore plus de sept heures pour parcourir un maigre deux cents kilometres....J'arrive fatiguee, mon sac pese une tonne, les gites sont chers et deprimants; je me rabat sur une chambre propre mais grande comme un placard et peu aeree...dort qui peut! J'ai ete derangee par une bande de Francais qui rentrait a une heure du matin. C'etait hier, aujourd'hui j'ai decide de me gater et j'ai change de quartier, me voici  a nouveau dans le luxe, le calme et la volupte d'une piscine en pleine ville, fort appreciee...J'ai achete quelques souvenirs et visite le marche aux oiseaux, sorte de petshop exterieur ou l'on trouve aussi bien des perruches que des hiboux, des lezards, des canards, des furets et des lapins, sans oublier chiens chats souris blanches et poissons varies. En fin d'apres-midi, un orage beni est venu rincer la chaleur accumulee de la fournee, euh pardon de la journee.

J'ai mal aux deux oreilles, j'ai peur de commencer une otite, c'est fort malvenu, a dix jours de mon vol de retour...voila c'est dit: le decompte final est commence. Bientot, je vais remonter la courbe du globe dans l'autre sens, retour au pays natal, on verra ce qu'on verra! J'etais ici je serai la, la la...

"Ligne incertaine qui tremble dans le ciel et qui est la chimere de nos vies: l'horizon."  O. G-T.
















vendredi 2 novembre 2012

Les cerfs-volants de Katmandu

C'est une vision captivante qui va me manquer: ces dizaines de losanges ludiques et multicolores qui tourbillonnent dans le ciel,  manoeuvres par des gamins au sourire epanoui. Un matin j'en ai compte plus de trente, debout sur le toit de l'hotel apres mes salutations au soleil; c'est un passe-temps apprecie au Nepal.

Je n'en reviens tout simplement pas de voir combien rapidement les deux dernieres semaines ont file!
Le 19 octobre, j'ai passe l'apres-midi a Pashupatinath, un temple hindou avec ghats de cremation, sorte de mini-Varanasi flanque de sa poignee de babas peinturlures et couverts de cendres qui se font tirer le portrait moyennant quelques roupies, de singes chapardeurs en goguette au milieu des vendeurs de the trop sucre, sans oublier ces familles entieres multipliant les actes de devotions; certaines souriantes et d'autres en pleurs, accompagnant la depouille d'un aine dans son dernier rituel au bord de l'eau...bref, je me serais crue retournee en Inde, avec la musique, les sons de cloche, les psalmodies et les odeurs de ghee des lampes!

 En fin de journee, je suis invitee dans la famille de Luan et d'Ellen, deux soeurs charmantes rencontrees au festival de musique de Patan, un mois plus tot. Nous etions restees en contact via Facebook et j'ai ete recue de facon tres chaleureuse par toute la famille: ils etaient rieurs, ca respirait le bonheur dans cette maison. La nourriture fut delicieuse et la soiree memorable, dans une rare bonne humeur pleine d'humour. C'etait l'anniversaire de Luan, nous avons mange le gateau avant le souper, etrange. Il y avait des tantes, oncles, cousins et Mamou, la grand-mere frele et souriante, qui me rappelait un peu Ti-Guite, ma propre mamie aux yeux petillants de douce malice.  Nous avons mange assis par terre, puis j'ai placote avec les jeunes dans la chambre, enfin nous avons chante quelques bajhans dans le salon, ce fut leger et joyeux! On m'a garde a dormir, et meme si j'ai bien trop mange, ce fut reposant. C'est une famille aisee, ils ont une belle maison.
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Au matin, la famille au complet voudrait me garder mais j'ai rendez-vous avec Dinesh, je me rends chez lui a Changu Narayan, je suis tres contente de le revoir et de rencontrer sa mere Benita et sa soeur Sunita. Sa maison est modeste mais situee dans un lieu enchanteur, a dix minutes a pied du village, donc nul bruit de voiture et  superbe vue sur les environs. Ils n'ont ni salle de bain, ni eau courante; ils vont a la fontaine publique pour avoir de l'eau et partagent une "becosse" avec les voisins. Jusqu'en 2010, ils vivaient dans une seule piece mais ils disposent maintenant de trois (petites) pieces; la jeune soeur dort dans la cuisine. Ils doivent se laver tout habilles, dehors et brulent leurs dechets dans la cour. La nuit, j'entends des rongeurs courir sur le toit. Sinon c'est tres calme et mon sommeil est profond et reparateur; je me sens bien paisible.

 Sunita est jolie et amicale, son anglais est excellent. Elle est studieuse et ambitieuse: elle veut, tout comme son frere, aider sa mere qui les a supportes quand leur pere les a abandonnes pour refaire sa vie avec une autre femme. Benita est souriante mais ne parle pas anglais. Ils ont connu des annees de vache maigre, ou meme le riz etait rare et ou les enfants n'avaient que peu de vetements et un sac de plastique en guise de sac d'ecole. Dinesh envisage d'aller travailler deux ou trois ans a Dubai pour amasser l'argent necessaire pour marier sa soeur, ensuite seulement il pensera a lui. Il est vraiment mature et responsable pour un jeune homme de vingt-trois ans! Ils ont un terrain qui pourrait  servir pour un gite, ce serait son reve. Il veut egalement un jour creer une fondation pour venir en aide aux orphelins. Je l'admire!

Je vais dormir chez eux deux nuits et on me traite avec tant d'egards que j'en suis embarrassee. Je ne peux lever le petit doigt et la maman a mon depart me donne un pashmina, j'en ai les larmes aux yeux...On me fait promettre de revenir l'an prochain et de rester plus longtemps, je dis : oui, a condition que vous me laissiez faire la vaisselle! Ils sont incroyable de gentillesse, Sunita me fait cadeau d'un carnet pour ecrire mon journal, je pars en laissant encore une partie de mon coeur derriere moi, presqu'a regret. Benita m'a d'ailleurs fait le plus beau compliment en disant a Dinesh que j'avais "a nepali heart"! Ils ont vraiment  le coeur sur la main.

Je pars pour un long trajet de bus (un paysan monte avec au moins quinze gros sacs de riz!) et retourne dans la famille Shresta, chez Ellen et Luan et c'est a nouveau la joie: la maman en particulier est tres complice et j'adore la taquiner gentiment. Ils sont adorables! Meme  Mamou m'a adoptee et me demande si je vais les oublier, si je vais y retourner...Ils me demandent d'emmener ma mere l'an prochain, ils voudraient la connaitre! Ils sont tellement hospitaliers, c'est fou. Ellen me demande de lui enseigner quelques techniques de massage, elle s'exerce sur sa soeur pendant que la famille ecoute Big Boss dans le salon (version Indienne de Big Brother).  J'ai reve cette nuit-la que j'etais en montagne pour faire du ski alpin mais il n'y avait pas de neige, c'etait a la fois dangereux et desagreable... Bizarre.

Le matin, nous allons au temple de Patan: la famille fait un puja, des offrandes pour Dasain. Les parents sont profondement devots, ca fait partie de leur quotidien. Puis, Bidhya la maman me fait cadeau d'un magnifique sari rouge, c'est incroyable comme generosite, eux aussi me traitent comme un invite de marque, voire une princesse! Donc, essayage et seance de photo: les filles sont epatees de me voir ainsi traditionnellement vetue. La couleur rouge est associee au mariage, donc on me dit qu'il ne manque plus que le mari! J'en connais qui vont prier pour moi, ca fait chaud au coeur... En se quittant, Ellen me dit: si nous avons fait quoi que ce soit qui ait pu te blesser ou te decevoir, s'il-te-plait pardonne-nous. Dinesh aussi m'avait dit la meme chose, c'est une coutume nepalaise et c'est dit avec une sincerite touchante. J'ai tente de balbutier quelque chose de semblable mais on m'a plaque une main sur la bouche! Ils sont tellements speciaux ces gens-la, c'est indescriptible. J'ai vraiment envie d'aider Dinesh et sa famille. (Je lui ai offert une guitare et il etait aux anges, je crois qu'il en joue tous les jours.)

Le 23, il vient me reconduire a l'aeroport, nous avons tous deux le "motton" dans la gorge. L'heure est venue de quitter cet endroit magnifique ou j'ai vecu tant de choses marquantes en peu de temps. L'an prochain je me promets de revenir pour une periode plus prolongee et de faire du benevolat avec les enfants. L'aeroport de Katmandu est etonnament petit et desert; en seulement 45 minutes j'ai franchi toutes les etapes et je relaxe sur un moelleux divan en simili-cuir, gonflee de tendresse et de tristesse, etourdie de toute la beaute de ces rencontres, fatiguee mais contente et surtout  confiante que j'y reviendrai. ( Nepali ho!)

Premier vol facile: l'avion est a moitie vide et le trajet, moins long que je le pensais. A Kuala Lumpur, j'ai une nuit d'attente dans l'environnement aseptise mais je dors tres mal, a cause du boucan que font les enfants qui jouent et declenchent la sonnerie stridente de fauteuils a massage... Enteka, ayant tant bien que mal reussi a somnoler trois ou quatre heures sur mon tapis de yoga , je me leve fripee a 4h30, mange une soupe et hop, l'embarquement debute a 6h. Le vol pour Jakarta est bref et me voila soudain engouffree dans un chaudron indonesien de vapeurs equatoriales; il faut deux heures trente sous un soleil sadique pour rejoindre la rue Jaksa, a 25 km seulement de l'aeroport... J'aboutis suante et collante dans un gite miteux et relativement cher mais je m'en fous, trop claquee pour chercher ailleurs. La salle de bain est crade et les murs moisis, j'ai envie d'envoyer une photo au Lonely Planet, qui recommendait cet endroit a la limite de l'insalubrite! Un gars dans la chambre voisine de la mienne s'est fait attaquer par des puces de lit, j'ai eu plus de chance que lui.

"Life felt open, intensely so.
 I felt like I should-like it is my sacred task-
 to move unafraid into the emptiness."

-Manjushree Thapa


mercredi 17 octobre 2012

ORIENTAL MAGIC

Malgre ma cheville bleuie, "mon kussi tsu" : je suis de bonne humeur! Il y eut un soir ou j'ai boite fortement, mais a force de repos, de glace et de patience, ca desenfle tranquillement. Ouf! Je peux esperer faire de la marche en montagne, dieu merci. Le titre de cette chronique est le nom  d'un jus delicieux a base d'ananas, de gingembre et de coriandre fraiche, mais decrit aussi mon emerveillement renouvele d'etre en Asie!

Un glissement de terrain du a une forte averse a enseveli cinq vehicules et fait une douzaine de morts. J'ai commence un recueil de nouvelles de Manjushree Thapa, tres bien ecrit; feuillete "Smile, you're travelling" par Henry Rollins, assez poseur merci: non seulement il ne peut ecrire trois lignes sans dire fuck ou shit, mais en plus son periple en Afrique se deroule a une vitesse ridicule; il y passe dix jours et se sent aventurier. Il y a cependant une citation de lui que j'apprecie: "The american is born dysfunctional and must fight his way out just to be normal." Quelques jours plus tard, je me delecte d'un bouquin-fleuve de Luis Alberto Urrea, "Hummingbird's daughter", fresque coloree brodee autour d'une sainte mexicaine ayant vraiment existe.

Je retourne dans les entrailles de Katmandu afin de me rendre au bureau d'immigration. Je remplis ma demande et au bout de deux petites heures, j'ai en main une extension de deux semaines pour mon visa.
Je croise ensuite une grande blonde fort sympathique: Elea, Francaise fraichement debarquee de l'avion. Le contact est immediat, simple et la conversation coule de source. Nous croisons une manif, visitons Durbar Square et avons le chance d'apercevoir furtivement la Kumari,  jeune deesse vivante  qui a l'air de s'emmerder royalement dans ses habits d'apparat.

 Le soir venu, nous allons ecluser quelques bieres au Funky Buddha, puis passons a un autre bar abritant des musiciens jouant bien sur de vieux succes. Enfin, nous vivons une experience culturelle etonnante dans un drole de club ou la biere  hors de prix est servie par des hotesses (assez sexy selon les standards nepalais) qui offrent jasette et grands sourires afin d'inciter les hommes a boire et ou personne ne danse-hormis des pros qui nous infligent des choregraphies allant de la romance sirupeuse au hip-hop en passant par les tremulations bolywoodiennes... mieux vaut en rire! Nous rentrons a 11h:  la grille d'entree de l'hotel est fermee a cle, je dois reveiller le portier.

Le lendemain, jour de detente: je vais flemmarder au Dream Garden, superbe endroit de verdure et bassins d'eau ou l'on peut s'allonger mollement sur l'herbe, enfonce dans  des coussins en degustant un expresso a prix d'or. Je me balade ensuite autour de la vieille ville et nous retournons, Elea et moi, au Funky Buddha car c'est la soiree transe, avec un DJ et oui, les gens dansent, enfin! Je rencontre Sjoerd, un grand Hollandais souriant au nom impossible a prononcer, qui est interesse lui aussi a faire le trek de Poonhill. Je m'eclate a tournoyer, pieds nus dans le jardin, puis a 22h nous passons au Reggae Bar, ou une foule animee boit, fume a la chaine et se tortille en ecoutant le band live rendre energiquement les memes sempiternels vieux tubes. Jimmy, le proprio des lieux, nous paie une biere; nous placotons avec des gars de Mumbai. On ne rentre pas trop tard,  ma copine se levant a l'aube pour son saut en bungee. (Cette fois, je file un pourboire au portier de l'hotel.)

Le lendemain, je pars en compagnie d'Elea et Dinesh pour Pokhara, decouvre le Namaste Lodge, avec une terrasse donnant une superbe vue sur le lac. Le soir, dans un resto familial, croyez-le ou non:  ca a pris plus d'une heure trente pour etre servis, j'avais l'estomac gargouillant de protestation! Je vais au Blues bar faire un rapide coucou a la tribu; Greg et Harsh quittent le lendemain, Nico est ravi de me voir mais pas surpris (il avait eu l'intuition qu'il me croiserait le jour meme) et dodo tot, le trajet de bus m'a fatiguee.

Le lendemain, je marche avec Nico et Elea jusqu'au chutes de Devi, belle promenade sous le soleil.  Sjoerd nous rejoint en fin de journee et nous filons en vitesse, juste avant que les bureaux ne ferment, prendre les deux permis necessaires pour entrer dans la zone de conservation de l'Annapurna, deuxieme sommet le plus haut de la chaine de l'Hymalaya; il y a de l'excitation dans l'air!

Le neuf octobre au matin, nous prenons un taxi jusqu'a Nayapul, dejeunons sur place puis entamons notre premiere journee de trek. Nous grimpons de nombreuses marches en pierre, croisons des mulets, cotoyons des rizieres d'un vert quasi aveuglant;  le paysage est magnifique et le ciel est bleu, la temperature un peu chaude en plein soleil mais je suis aux anges. Nous arrivons a Ghandruk vers 15h30, ce fut plus facile que je l'anticipais, mais pour Sjoerd (qui fume abondamment) c'est l'inverse. Notre hotel est une magnifique vieille maison rurale en bois tres bien tenue, bien plus classe que ce que j'imaginais.

 Reveillee a l'aube, j'assiste au lever du soleil: la vue est degagee, je me sens toute proche des sommets  enneiges, c'est epoustouflant! Depart vers 7h30, le debut du trajet est a l'ombre et longe de nombreux ruisseaux. Sjoerd a d'enormes ampoules et traine un peu la patte. Je dois me freiner et perds mon rythme a cause des nombreuse pauses, mais j'ai bon  moral. Une foret enchantee a la Tolkien, remplie de lianes, d'arbres biscornus et de rhododendrons me donne l'impression qu'un troll ou une sorciere va surgir de derriere un gros rocher! Apercu quelques singes. Arret a Tarapani pour diner d'un consistant dhal bat (riz et lentilles) et arrivee a Banthati vers 14h30, a 2660 metres d'altitude. Nous avons croise beaucoup de monde sur le sentier.  Dinesh avait dit que ce serait le jour le plus difficile mais je crois qu' il nous menage psychologiquement (en nous disant que ca prendra sept heures quand ca en prend quatre ou cinq), resultat on est tout contents quand on arrive a destination!

A ce nouvel hotel, un sympathique et extraverti Coreen implique dans des projets humanitaires nous fait bien rire car il s'exclame sans cesse d'une voix tonitruante, a des opinions tranchees sur tout et deborde de bonhomie et de vitalite. Ca discute ferme de spiritualite autour de la table. Apres le souper, nous avons droit a une petite demonstration de danse locale accompagnee de chants et tambours, nous dansons quelque peu, c'est fort joyeux ma foi! Il fait un peu froid la nuit venue, nous buvons un peu de vodka pour nous rechauffer.

Helas mon voisin de chambre ronfle ardemment, je n'ai dormi que cinq heures et je me sens fripee et grognonne le lendemain matin. Le soleil nous sourit a nouveau, on voit le sommet Annapurna sud. Aujoud'hui, on va descendre puis remonter, pour un total de 3300 metres de denivele! Pas trop dur mais je me sens faible car le diner ne vient que vers 15h30, je me sens impatiente tellement j'ai faim. Delicieux curry de chanterelles, mioum!  Apres, j'ai les joues en feu, je me sens fievreuse; en buvant beaucoup d'eau chaude, curieusement mon etat s'ameliore mais je remarque aussi que j'ai des plaques de peau tres seche sur les mains et sur les jambes, une rougeur irritee qui evoque soit l'eczema ou la dermatite. Dinesh croit que c'est du au changement de temperature mais j'en doute.

Quoiqu'il en soit, nous voila a Ghorepani, au Superview Lodge qui merite bien son nom. C'est tout simplement grandiose! Modeste chalet aux  murs en carton ou il regne une atmosphere conviviale. Je rencontre un couple de Quebec, c'est plaisant d'echanger en se rechauffant autour du poele (fait d'un simple baril). On se couche tot et je supplie pour changer de chambre avec notre guide, alors je dors dans un petit reduit qui sert a entreposer les couvertures mais je DORS, o merveille!

Le lendemain, le reveil qui sonne a quatre heure est un petit defi en soi: s'habiller puis commencer a marcher dans le noir, a la file indienne avec les autres, armes de lampes de poches  pour escalader Poonhill, soit l'apotheose de ce trek. Les lueurs de l'aube se pointent, melangeant les couleurs dans la palette du ciel, puis...ta-dam! Voici le moment tant attendu du lever de soleil et ca valait vraiment le coup! Pour la premiere fois de ce voyage j'ai franchement froid aux extremites et me rechauffe les doigts sur un verre de the. Une horde de pres de deux cents touristes papote et prend moultes photos eblouissantes des sommets coiffes de blanc. Nous demeurons sur place jusqu'a huit heures,goutant un moment de silence car tout le monde est redescendu pour le petit dejeuner et rencontrons Natalia, une Ukrainienne qui vit en voyage depuis sept ans.

Cette journee est une gaterie, un repos. Sjoerd fait la sieste, je me balade toute seule dans le tres petit village; tentative avortee d'aller sur internet. Je bois une biere assise toute seule dehors, comme dans le temps ou j'allais sur les plaines a l'adolescence avec ma bouteille de rhum ecouter Depeche Mode dans mon walkman a cassette!!!  Un coq chante, les villageois vaquent a leurs taches, travaillant lentement mais sans relache. Je me sens tres relaxe, un peu feeling et portee a commencer a faire un bilan de mon voyage. Hum, je ne pense pas etre devenue une personne plus sage, plus eclairee; je suis encore souvent tres reactive, impatiente, habitee de doutes et de jugements...bref j'ai bien du chemin a parcourir encore! J'aimerais avoir plus de foi en moi et dans la vie. Ai-je trop ete dans le faire, dans l'amusement de la decouverte et de la nouveaute? J'aurai besoin de temps au retour pour decanter. Quand je relis mon journal ou que je revois mes photos, je suis etourdie par l'intensite et la densite de ces derniers mois. Oui, je n'ai pas fini de digerer tout cela!

Parenthese : en nepalais le mont Everest se nomme Sagarmatha, qui signifie mere de toutes les deesses!
Apres une longue nuit reparatrice, depart a jeun vers sept heures, going down, down, down!  Maintenant c'est Sjoerd le plus rapide; avec ses grandes jambes il est devant et deboule les marches deux par deux. Sur son baton de marche geant se trouve un morceau de bois enroule en spirale, que tout le monde scrute pour verifier s'il s'agit d'un serpent, c'est le running gag de la journee! Petit dej. copieux de Rosti au fromage et, coup de chance pour moi, la proprio du restaurant masse son adorable bebe de trois mois au  soleil; c'est une tradition  ici comme en Inde de masser les enfants tres regulierement; elle me permet de prendre des photos. On arrive a Hille pas trop tard et juste avant un orage de pluie intense. Le gite est tenu par une famille tres chaleureuse, je me retrouve dans la cuisine a regarder la femme preparer le repas et je joue avec son petit garcon de deux ans. Un Israelien nous montre un jeu de carte ou il faut mentir, on rigole bien.

Depart en ce dernier jour vers 9h30, pas besoin de se presser puisqu'avant midi, nous sommes attables a Birethanti, au bord de la riviere, la boucle est bouclee...deja! Nous voyons une manifestations d'enfants avec des pancartes exhortant leurs parents a cesser de boire, de fumer et de parier afin de leur assurer un meilleur avenir! C'est touchant. Encore un peu de marche jusqu'au taxi et retour a Pokhara.  Par hasard, je croise Cathy sur la rue, cette charmante femme avec laquelle j'avais fait le trajet de Rishikesh jusqu'ici! Nous allons souper tous ensemble, avec un Sjoerd rase de frais, une Elea qui s'est inquietee car nous avons rallonge le trek d'une journee et un Quebecois cool nomme Francois, qui a etudie en tourisme d'aventure et se paie comme moi une sabbatique (il a passe son ete d'avant au Yukon pour faire des sous rapidement).

Le premier bar est un repaire avec hotesses et danses quetaines, oups! Nous sifflons nos bieres rapidement. Le second endroit ressemble a une boum, avec deux cent gars de 14 a 20 ans et environ dix filles.. et des tubes dance des annees 90 comme il se doit, bref full testosterone et assez hilarant dans l'ensemble. Ca ferme a 11h helas, on a tout juste le temps de s'echauffer que c'est fini!  On se refugie au Busy Bee et la, on peut continuer la discussion jusqu'a deux heures du matin en grignotant frites et pizza...C'est le night life a Pokhara!

Apres une courte nuit, loooong trajet de bus de plus de huit heures pour revenir a Katmandu.  L'hotel que je voulais est plein mais je croise un British que j'avais deja vu et il accepte de partager sa chambre a deux lits avec moi. (J'ai chaud et pas envie de chercher ailleurs). Dinesh accompagne Elea a Bhaktapur. Nombreuses coupures d'electricite ce soir-la, je prend une douche froide a l'eau sulfureuse et avec une petite ampoule qui clignote, wow! Je m'apercois que je suis rendue avec une quantite monstrueuse de bagage, je me decide a jeter et donner quelques objets. Je suis contente de retrouver mon tapis de yoga et je magasine un billet d'avion pour Jakarta sur internet: c'est un peu long et plus cher que prevu, je regarde mes finances et je sens mon mental agite et dissipe; je pense beaucoup au retour et aux milles choses a faire  et ca me stresse...

Le 16 octobre commence Dasain, une fete religieuse hindoue qui commemore la victoire de Durga sur un demon,  ou traditionnellement l'on egorge de nombreux animaux en sacrifice pour se gagner les faveurs des divinites ou eloigner les mauvais esprits, ce qui est desaprouve par les gens des classes sociales plus aisees.
Certaines personnes adorent ce festival, qui permet aux gens d'avoir des conges et de se retrouver en famille, mais d'autres detestent le cortege d'obligations que cela entraine: paraitre heureux et souriant a tout prix, faire de couteuses receptions, acheter de nouveaux vetements et des cadeaux, bref un peu comme Noel chez nous! Et attention: quiconque tente de s'y soustraire risque le chantage emotionnel de papa ou maman!

Aujourd'hui, j'ai vu trois enfants rire a gorge deployee en pourchassant des pigeons sur la place.
"Ne suffit-il pas du rire d'un enfant pour que le present devienne un absolu?"
   -Olivier Germain-Thomas











mardi 2 octobre 2012

Dancing in the Land of Glory

A la lumiere de ce que j'ai ecrit la derniere fois, vous vous doutez que je suis touchee, parfois bouleversee par ce que j'observe en voyage. Je me sens parfois bien impuissante, avec seulement mon coeur ouvert mais rien dans les mains pour amener des solutions concretes. (L'equanimite n'est pas encore acquise, loin de la!) Je souhaite ardemment trouver un jour ma propre facon de contribuer a ameliorer la condition de la femme dans le monde (de tous les humains en fait; helas les femmes semblent souvent au premier rang des demunis).

Le 21 septembre, je me rends a Patan, alias Lalitpur, qui signifie: ville de beaute. L'endroit merite le detour, c'est vraiment unique au monde: imaginez de deambuler dans un vaste musee a ciel ouvert; pas moins de 1200 monuments bouddhistes vous attendent sur la place principale ou au detour des ruelles. Reellement impressionnant et plus agreable que le centre-ville de Katmandu, a quelques kilometres de la.

Depuis que j'ai quitte Pokhara, je suis a nouveau envelopee de la patience du soleil, qui rechauffe quotidiennement la masse fourmillante d'humanite qui s'affaire dans la cite historique. Je deambule, croque moult cliches, mange une enieme assiette de momos puis me dirige vers le terrain de football, qui accueille le festival de musique, une organisation a but non-lucratif qui a pour but de rapprocher les gens par le biais de la musique et de promouvoir la paix et le progres, noble objectif s'il en est. J'arrive vers 13h, a temps pour entendre le premier groupe invite; ce sont des Indiens qui jouent divinement, de vrais pros!  Planant, comme d'habitude lorsque tabla, sitar et talent sont reunis.

Je lie conversation avec Elena, une Allemande etudiant la medecine qui fait du benevolat ici pour quelques mois, ainsi qu'avec une bande de jeunes qui ont contribue a l'organisation de la fete: le contact est immediat, chaleureux et decontracte. Le groupe suivant, 1001 Ways, vient de la Suisse et est afflige d'un leader excentrique, chapeau jaune et moustache a rallonge, qui pour honorable violoniste qu'il soit demeure un mediocre- voire penible- vocaliste, mais son enthousiasme bon enfant fait qu'il est impossible de le hair! Suivra Soulset du Danemark, correct.  Tumbleweed, tendance metal, me laisse de marbre. Playing for change, un choeur d'enfants, met une touche de fraicheur bienvenue sous le soleil torride. Les gens d'ici ont trouve un slogan national accrocheur: Never Ending Peace And Love; ils sont fiers et ils ont bien raison.

 Robin and the Revolution fut mon groupe favori; coup de coeur pour ce grand slack de rocker, sorte de Max Headroom nepalais avec des allures de David Bowie...Ca "swingait" dans l'assistance. Cobweb etait pas mal, Astha Tamang, une jeune recrue vivant a Toronto, avait de la fougue a defaut d'une grande voix et 1974 AD ne m'a pas conquise mais a induit une espece de transe collective dans l'assistance: tout le monde sautait et chantait a pleins poumons, ce qui en fin de compte valait le spectacle! Un groupe de gringalets de quatorze ans faisait du slam nu torse pour se montrer viril, ce qui etait plus mignon qu'autre chose...Le show s'est termine tot.  Vers 21h, je rentre contente, les pieds un peu en compote; la journee a ete longue.

Le lendemain, je file a moto visiter le village de Bungamati, tres traditionnel et rural. C'est un patelin newari, l'une des 36 langues et castes du Nepal. Je vois les gens affaires a toutes sortes de taches manuelles: filer la laine, tisser, trier le grain, trimballer des paquets de foin, affuter les serpes, donner le bain au bebe en pleine rue, faire du vin de riz (bagosse locale pour s'enivrer a peu de frais), etc. Lilendra, mon guide, a 30 ans et deja 16 ans d'experience dans son domaine. Il a ete grandement aide par un bon Jack de Vancouver qui l'a pris en affection et est devenu son deuxieme pere (le premier ayant deserte), le visitant a chaque annee et payant pour son education. Il a maintenant le projet d'aller vivre quelques annees dans l'ouest canadien.

 Le soir, il est invite a un party de fiancailles; j'espere l'accompagner mais malgre ma candide tentative pour faire le brin d'herbe (merci Genou) il me dit que c'est assez formel et qu'il ne peut prendre la liberte de m'inviter. Dommage.  Ce soir-la je m'emmerde et me refugie dans la lecture d'un roman de John Irving qui se passe en partie aux US et au Canada, dans un camp de draveurs. Je realise soudain que ce mot derive de "river driver", ce que j'ignorais,  je trouve ca beau. Ce n'est pas son meilleur bouquin mais comme d'habitude on ne s'ennuie pas et on y retrouve tous les themes qui lui sont chers: amitie, amour incestueux, alcoolisme, personnages decales et marginaux, tendresse, solitude, mort (avec l'inevitable apparition d'un ours, reel ou imaginaire); bref comment survivre en ce 21e siecle qui part en couille?

Le lendemain matin, manque de sommeil oblige, je broie du noir, je me sens moche et perdue. J'ai reve que j'etais de retour a Quebec et que je ne retrouvais plus mon velo ni mon cellulaire, que tout tournait carre. Ai-je peur de ne pas savoir renouer avec mon monde? Puis vinrent les questions existentielles: devrais-je me caser et faire un bebe (cafe au lait de preference) ou rester a jamais nomade et sans attaches? Ou est le plus grand defi? Pour moi, sans aucun doute, la vie de couple stable est plus difficile que la vie de boheme, c'est evident. Mais dois-je aller vers ce qui est facile et coule de source ou au contraire vers ce qui me "challenge" le plus? La vie n'est pas a ce point binaire, je le sais bien... j'angoisse un peu a l'idee que precisement vu ma position privilegiee TOUT est possible, c'est incroyable!

 Je peux me lancer en musique, faire un mariage arrange, m'exiler, prendre des amants en serie, mais qu'est-ce qui a du sens au juste pour moi? Help! Des fois je ne suis plus sure de rien! Je veux bien prendre de nouveaux departs mais avec les pieds sur terre, ancree dans le reel. C'est dingue d'avoir autant de liberte et de ne savoir qu'en faire. C'est certain que je veux contribuer au bien-etre d'autrui, faire partie d'une collectivite humaine. Quand je vois des jeunes ici qui ont zero possibilite de se demander ce qu'ils veulent je me sens presque coupable. Ils ne font que fonctionner, survivre, aider leur famille elargie, avec le sourire et sans se regarder le nombril; c'est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre. Je me prends une bonne douche froide et me secoue de ma torpeur. "After all, what is wrong with black sheeps-don't people wear black sweaters?"

Je me deplace ensuite a Bakhtapur, plus petite que Patan, au centre pietonnier; ville  hors du temps qui abrite des artisans dont le savoir-faire remonte a des siecles (potiers, tisserands, peintres, sculpteurs), situe sur l'ancienne route de commerce avec le Tibet. C'est moins grandiose que Lalitpur mais ca respire a un rythme autrement plus paisible. Toutes les boutiques ferment a 19h ou 20h et les rues ne sont pas eclairees; pas le choix d'etre couche-tot! Des mon arrivee, des guides en t-shirt roses tentent de me mettre le grappin dessus (l'un d'eux, parlant un italien parfait, veut me donner un massage!) mais je decline car j'ai envie de deambuler par moi-meme dans le dedale de petites rues etroites. Je m'impregne de cette douce tranquilite.

Je vois des artistes en train de realiser des tangkas, peintures sur tissu qui representent des scenes sacrees pour les bouddhistes (Bouddha, Tara, Mandalas, etc). Je sympathise avec un mec rigolo, un musicien qui vient de Mongolie et qui vit en Chine; on s'est rencontre dans un magasin de musique ou j'ai improvise une petite danse, a la joie des deux commis. Nous avons pris une bouchee dans un resto et nous sommes dit adieu avec le sourire,avec legerete. J'ecris quelques cartes postales, j'espere qu'elles se rendront. J'essaie de lire John Steinbeck (To a God Unknown) mais c'est deprimant, ca me tombe des mains! Je trouve Trois femmes puissantes, de Marie Ndyaye; ecriture elegante et personnages dignes mais sujet tres dur et en fin de compte, demoralisant egalement.

Au petit matin, en faisant mon yoga sur le toit, je vois un aigle planer et le fou du village faire son jogging avec des gesticulations comiques. Parfois, j'apercois des dizaines d'hirondelles voleter et faire des piques, sans doute pour attraper des insectes. Il y a la bande de pigeons qui roucoulent et les corbaux qui coassent comme une vieille porte qui grince, toute cette faune ajoute vie et mouvement a mes reveils. Je marche pendant deux heures pour voir les bassins d'eau, les monuments, les temples qui sentent le ghee et l'encens; je zigzague et prends plaisir a photographier de menues scenes de vie quotidienne: ecoliers qui se tiennent par le cou et femmes avec leur bebe dans le dos, memes qui tricotent en groupe, vendeurs a la criee et simples desoeuvres qui restent placidement assis a guetter le cours des choses.  Je goute le King curd, un yogourt tres epais et onctueux qui bouche un coin, me paye le luxe d'un cappucino glace, la vie est douce quand on a des roupies...Un ado arbore un t-shirt qui dit: I am not perfect but I am limited edition. Je regarde le soleil se coucher de la terrasse, une biere a la main: merci pour une autre journee de bon temps! Quelle chance, vraiment, d'etre vivante et d'avoir du temps libre. 

Je n'essayais pas de decrocher la lune, seulement de la photographier, quand soudain j'ai entendu des clameurs de fanfare, tambours et cymbales. Je descends voir ce dont il retourne et je tombe sur une procession d'environ deux cents personnes dont certains transportent un palanquin de tissu rouge qui represente Indra, le dieu de la pluie. Des gamins dansent, des femmes et des enfants portent des batons d'encens et des hommes de tout age tapent fievreusement sur leurs percussions.  Le gros de la fete cependant se deroule a Katmandu, ou la Kumari, la deesse vivante (une enfant prepubere identifiee comme la reincarnation de la deesse Taleju) apparait a la foule en liesse, montee sur un chariot dans ses habits d'apparat. Son regne se terminera lors de ses premieres regles, bien sur, moment ou elle deviendra "impure".
Apres quelques jours, il y aura sacrifices d'animaux pour assurer la fertilite des recoltes.

Je prends un matin le bus pour Nagarkot, petit village perche en hauteur, ou je marche jusqu'a une tour qui offre un point de vue incomparable sur les environs. Ce jour-la neanmoins il fait un peu brumeux, impossible d'apercevoir les sommets enneiges au loin. Peu importe, je vais passer la un apres-midi magique. En effet, je placote avec Gelia, une Espagnole rigolote et hippie sur les bords qui, des la fin de ses etudes de medecine a file, nez au vent, pour une duree indefinie... Sur cette colline il y avait une reunion de trente ou quarante Tibetains, les femmes vetues de belles robes  et les hommes jouant de la musique. A un moment donne, la danse a commence: tous en cercle, ils chantaient et battaient la mesure avec leurs pieds, se deplacant comme en osmose. Les petits enfants riaient et couraient partout, j'ai eu mon dix minutes de succes avec eux lorsque je leur ai distribue des bonbons. Les tibetains nous ont offert un bout de fromage sec, que l'on suce comme une friandise et qui, peut-etre au bout d'une heure, ramollit assez pour qu'on puisse le manger, plutot aride!
Bref ils nous ont fait un bon accueil et ce fut emouvant d'etre temoin de leur petite fete intime. Dans le bus de retour, ma voisine me fait signe qu'elle a la nausee; je lui offre un chewing gum puisque la menthe peu aider, mais elle croit que c'est un medicament et l'avale tout rond! Probleme de communication.

Le lendemain, Gelia et moi marchons jusqu'a Changu Narayan, agreable trajet et beau temple ancien. Il faisait chaud sur la route mais ca valait le coup. Nous lions connaissance avec Dinesh et Sujan, deux etudiants qui travaillent aussi comme guides. (Un boulot d'etudiant rapporte entre 50$ et 75$ par mois).
Je decide d'aller a Namo Buddha, lieu qui parait edenique, avec Dinesh, marche conclu!

Le lendemain, j'entends a nouveau de la musique dans la rue et me precipite pour voir des jeunes en costume traditionnel qui jouent fierement tandis qu'un homme masque danse, incarnant ce qui semble etre un demon, dans le cadre de la journee du tourisme. Decidement, il y a de l'action dans le coin! Mon ami le guide est en retard mais pour cause: il y a eu un ecrasement d'avion qui a perturbe la circulation, dans lequel helas sept Nepalais et douze touristes ont peri.

Nous prenons le bus jusqu'a Dhulikhel, puis nous mettons en route: d'abord il faut grimper mille marches, nous admirons au passage un immense bouddha dore, puis prenons un petit sentier qui serpente entre les fermes et offre une vue imprenable et idyllique sur les montagnes environnantes. Un chien hargneux grogne et nous suit cinq minutes, autrement tout est paisible. Nous prenons une collation de concombre avec du sel et du piment, puis apres trois heures arrivons au monastere, colore et intact car recent. Les trompettes et les cymbales rituelles resonnent, tout un accueil! L'orage se declare juste comme nous arrivons. Le soir, la lune semble pleine et la vue est renouvelee, magique.

Leves tot, nous esperions mediter mais la seance est annulee car les jeunes moines doivent pratiquer une danse qu'ils executeront dans le cadre d'une celebration speciale. Quelle chance! Pendant une heure, nous les regardons avec une curiosite avide: certains sont gracieux et agiles, certains pleins de vigueur quoique manquant de coordination, d'autres carrement empotes mais tous arborent un franc sourire et rient, ca fait chaud au coeur de les voir s'amuser. Le petit dejeuner est insolite: on nous sert de la farine maltee qui, combinee a un peu de beurre, de sucre et d'eau chaude, donne une mixture epaisse et collante (a la consistance semblable a du beurre d'arachide) et c'est la tout ce que nous aurons a nous mettre sous la dent, assez austere comme regime. A ma grande surprise le refectoire est bruyant et anime, j'aurais cru qu'ils mangent en silence mais ce n'est pas le cas. Il y a des enfants, des adolescents et des adultes parmi les moines.

Sur le chemin du retour, Dinesh m'apprend quelques mots de nepalais ainsi que la chanson typique que l'on entonne quand on marche en montagne  (Ressam Firiri) et me dit que ma voix est un don de dieu, que je devrais vraiment please continuer a chanter! Je lui apprends quelques mots de francais. Nous attendons longtemps un bus qui ne vient pas, alors il decide de monter dans la boite d'un camion qui transporte une citerne de lait qui n'est pas etanche; resultat nous sommes debout, nez au vent ce qui est agreable mais les orteils trempent dans une petite flaque de lait qui se deplace avec les virages! En fin de journee, nous jouons au cartes avec un de ses amis et goutons un peu de Chiang, version douce de bagosse qui n'enivre pas tellement. (Il existe une version plus dure, le Roxy, alcool fort que je ne tiens pas a essayer.)

En jasant, je constate qu'ici, les gens pauvres sont minces et les gens a l'aise sont plus ronds, donc ce sont les courbes qui ont la cote, l'oppose de chez nous quoi, ce qui me donne l'idee loufoque de creer une agence de rencontre : The wings of love, ou le but avoue est d'agencer des occidentales rondes avec de minces et fringants Nepalais. On deconne un peu la-dessus, mais il y aurait preneur car ici, un mariage arrange coute tres cher, alors meme s'ils devaient payer, certains seraient partant pour la blancheur exotique...he he!

Le lendemain, je reprends le bus pour Changu et cette fois c'est l'ami de Dinesh, dont l'anglais est plus laborieux, qui m'emmene promener du cote de Sankhu.  Encore un chemin enchanteur a travers champs puis le long d'une riviere et enfin dans la jungle, comme il dit. Quoique ce n'est pas tres touffu, c'est quand meme vrai qu'a quelques kilometres de la on peut parfois apercevoir des betes sauvages (lions et autres) dans la foret! Rendus au village, il faut encore se taper de nombreuses marches pour aboutir au monkey temple (encore un) et la chaleur me tourne un peu la tete. Nous mangeons...eh oui, des momos kothey (frits a la poele apres avoir ete cuits a la vapeur) fort savoureux. Retour par un autre itineraire, pont suspendu, villageoises dans les champs m'offrant de partager leur repas, rires, c'est genereux de leur part! Je me tords les chevilles car je suis en gougounes, mes bonnes chaussures etant restees a Katmandu avec mon gros sac a dos. Rien de grave mais c'est un peu sensible.

Le lendemain, jour mollo: Dinesh qui m'aime bien et qui a du temps entre deux semestres d'universite, m'offre d'aller au cinema. Suite a une decision des maoistes, les films indiens sont pour le moment bannis de l'affiche, on doit donc se taper un navet local sincerement navrant! C'est trooop quetaine pour etre vrai, trop cliche, trop mal joue et avec trop de longueurs, decidement indigeste....Il est desole car lui aussi prefere les bons vieux films de Bollywood, previsibles mais ficeles avec un minimum de savoir-faire.

 Dans la salle de bains, je fais une vilaine chute car les tuiles sont mouillees et vlan! Je me cogne durement la malleole et ca enfle a vue d'oeil. Je mets de la glace dessus et ca ne parait pas si terrible, je peux marcher. Je prends un bus pour aller a Bodnath, aussi appele Bodha, ou un immense stupa est le centre d'attraction des pelerins bouddhistes qui tournent autour en faisant leurs prieres. C'est un endroit sympa, pas stressant mais moins beau que je me l'etais imagine. Le soir, malgre que j'aie applique plusieurs fois de la glace et pris de l'arnica, ma cheville a empire au point ou je boite et ne peux pas mettre beaucoup de poids dessus. C'est moche, moi qui voulait, qui esperait faire un trek dans une semaine, j'ignore si ca guerira assez vite pour ca. Coup de chance, j'ai des anti-inflammatoires avec moi, je me bande la cheville et la mets sur une montagne d'oreillers et je dors bien malgre tout.

Cette mesaventure, c'etait hier et ce matin ca allait deja mieux. Je suis restee tranquille et j'en ai profite pour mettre a jour mon blog, alors voila, toute chose a un bon cote au moins...Je n'ai rien de brise, donc pas besoin a mon avis d'aller a l'hopital mais je dois moderer mes transports! Pas de marche ni de yoga pour quelques jours.  Deja le mois d'octobre, le temps file. Demain, j'ai comme projet de me rendre a Katmandu pour demander une extension de mon visa, qui se termine le 9, de sorte que je puisse assister au debut du festival de Dasain le 16,  la plus importante fete hindoue qui s'etire je crois sur deux semaines. Ensuite, je me teleporterai a Java pour le dernier droit de ce voyage...

"La vie ne nous dit pas,
 de toutes nos heures,
 laquelle nous donnera
 notre visage d'eternite."

Olivier Germain-Thomas









The Machinery of Skeletons

"You scream in a straight jacket that you're losing the game of the actual pingpong of the abyss."
   Hommage en passant a Ginsberg, dont le court recueil  Howl m'est tombe entre les mains a Katmandu.

Il s'en est passe des choses -et pas toutes racontables- depuis ma derniere visite sur ce blog. D'ou le titre, d'ailleurs (emprunt a G) car, que voulez-vous, il faut bien que la chair exulte et puis les squelettes ont leurs raisons que la raison ignore... Je me suis donc devergondee un brin: j'ai fraternise avec la tribu, j'ai passe des nuits blanches, j'ai un peu bu, j'ai danse, j'ai chante, bref je me suis lachee, le point focal de tous ces evenements etant ce cher Old Blues Bar: qu'aurions-nous fait sans son "staff" amical et ses heures de fermeture aleatoires, je vous le demande?

 Normalement, ca se termine a dix ou onze heures et basta! Tout devient sombre et silencieux a Pokhara. Mais nous etions dans notre bulle festive et j'en ai bien profite. Une nuit en particulier fut memorable: il y avait plus de monde que d'habitude, plus de filles aussi et une energie frenetique s'est empare de certains; ca flirtait a qui mieux mieux. Deux profs de danse ont entrepris a tour de role de m'apprendre des pas de plus en plus complexes et je me suis amusee comme une folle. Un des gars, tres malade, a vomi dans un seau, ca sentait  l'adolescence. Nous sommes partis alors que le soleil se levait. J'ai dormi quatre heures puis j'ai religieusement fait ma seance de yoga, comme d'habitude, suivi d'un solide petit dejeuner avec une vraie baguette francaise croustillante et du fromage suisse, un rare delice!

Un jour je pars seule a velo visiter la vieille ville, cette partie non touristique ou l'architecture est remarquable: anciennes maison de briques ornees des fenetres de bois, parfois tres travaillees, petits commerces a la va comme je te pousse, femmes qui tricotent, gamins qui gambadent, vieillards qui causent, accroupis, devant les nombreux temples: il y regne une atmosphere doucement affairee qui emane d'une autre epoque. Je m'amuse a me perdre un peu; je viraille dans le coin de l'aeroport et je vois des gens tres pauvres, qui vivent de bric et de broc dans la salete, parmi leurs chevres et leurs poules. Je mets du temps a trouver le musee regional, cache dans un fond de cour et decevant finalement: mal entretenu et peu a voir. Le point culminant de ma ballade survient lorsque je me bute a la porte fermee d'un autre musee; j'entends de la musique a cote et je tombe en pleine repetition. Un groupe de jeunes hommes et jeunes femmes prepare en rigolant un spectacle de danse traditionnelle et j'assiste, ravie, a leurs evolutions gracieuses pendant plus d'une demi-heure, un moment memorable et joyeux. Je reviens contentee apres quatre heures de deambulation, une saine fatigue dans le corps.

J'attends, jour apres jour, que la pluie se calme pour envisager un trek, mais la mousson s'eternise, il pleut  parfois deux ou trois jours en continu. Un apres-midi, je vais visiter le village tibetain voisin a scooter avec Florion et son ami Nepalais. Une petite famille nous prepare des momos tout frais, puis nous filons vers Pate et Sarangkot, jusqu'a la tombee de la nuit. Nous avons vu des rizieres, un coin tres tranquille, puis avons marche au bord du lac, vu des centaines de lucioles et partage une biere dans un resto lounge. Florion a l'ambition d'ouvrir un gite au Cambodge avec sa mere, projet qui fait rever! Ensuite, par hasard, nous avons assiste a un spectacle de danse et de musique traditionnelle dans un restaurant, assez enthousiaste pour etre divertissant. Un autre moment agreable fut la visite d'un temple sur une ile: nous partagions un bateau a plusieurs et trois femmes tres droles n'arretaient pas de blaguer et de rire; bien qu'elles ne parlaient pas anglais, nous avons bien connecte! Le sourire qui vient du coeur est vraiment universel...

Le 17 septembre, il y a plein de policiers qui debarquent, car a l'occasion du Teej, un ministre vient en visite. Le Teej est une fete hindoue ou les epouses jeunent et prient pour la sante et la longevite de leurs epoux, puis revetent leur plus beau sari et dansent, font des offrandes et passent de bons moments en famille. Le tout pour rappeler que Parvati, afin de conquerir Shiva, a longuement prie et jeune...quel devouement. A ma connaissance, il n'existe pas de fete ou les hommes leur rendent la pareille! Dans les rues, un peu partout il y avait des rassemblements spontanes d'hommes jouant du tambour et de femmes jeunes et moins jeunes virevoltant avec beaucoup de plaisir. Sous une tente, de l'animation, plusieurs activites, de la musique live et toujours plus de danse: la, j'ai vecu un moment de communion magique avec une fillette d'environ deux ans. Elle s'est accrochee a moi et ne voulait plus me lacher. Avec sa petite bouille friponne et ses grands yeux bruns, elle m'a fait craquer! Nous avons danse ensemble pendant vingt minutes au moins avant que je m'eclipse pour rendre la petite puce a sa maman.


Le 20 septembre, je quitte Pokhara. Au revoir, la bande de joyeux drilles! C'est  correct, malgre un petit pincement, de passer a autre chose; je ne me sentirais pas bien si je marinais trop longtemps dans l'atmosphere enfumee d'un bar, si sympa soit-il. Deux heures apres le depart, il y a un probleme mecanique, nous devons attendre un autre autobus. Le paysage est magnifique, nous longeons une riviere, ce qui donne lieu a d'impressionnants panoramas. Nous mettons en tout  pres de neuf heures a parcourir deux cents kilometres. J'arrive donc a Katmandu un peu froissee et me pose dans un hotel pas cher, un peu a l'ecart du centre de la ruche. La salle de bain est de-gueu-lasse mais je m'en accomode. Je deambule dans Thamel, LE ghetto touristique, constat: c'est moche, pas charmant du tout. Je me refugie au Funky Bouddha, un joli resto-bar niche dans un jardin, je profite du happy hour et grignote des momos (je vais devenir accro). Le serveur m'appelle "Didi", terme a la fois affectueux et respectueux qui signifie: soeur ainee...j'aime bien. Ce soir-la, je me sens un peu seulette, j'aurais envie de compagnie, ne serait-ce que lier conversation avec une autre voyageuse pour une heure, mais ca ne se presente pas. Tant pis! 

Petite parenthese culinaire: les gens ici mangent du dahl bat deux fois par jour, soit du riz accompagne de lentilles savoureuses (ail, gingembre et coriandre). Ceux qui en ont les moyens raffolent de la viande, ils mangent du poulet, de la chevre, du sanglier et surtout du buffle. Toutes les parties de l'animal seront utilisees, incluant la cervelle, les poumons, le sang, la moelle epiniere, la rate, les os... alouette! Une des specialites est le steak cru avec la peau encore attachee (hum, pas mon departement, mettons).

J'adore ce pays: les gens sont trop gentils, c'est presqu'inconcevable a quel point ils font tout pour nous mettre a l'aise ou nous aider. Quand j'exprime ma gratitude, ils repondent : ah mais pour nous, un visiteur est comme un dieu, c'est a la fois un devoir et un honneur de bien vous traiter! Bien sur, il y a l'occasionnel chauffeur de taxi ou commercant malhonnete qui va me demander cinq ou dix fois le prix, mais bon, c'est l'exception a mon avis.  Ils semblent profondement honnetes et ce malgre qu'ils n'ont pas une vie facile. On peut aisement l'occulter car en surface ca ne parait pas tant que ca, mais le Nepal est un des pays les plus pauvres de la planete et se coltine son lot de miseres, dont le plus evident est le fleau politique.

Corruption, nepotisme, impunite des ministres, collusion, en veux-tu en v'la! Suffit d'ouvrir le journal pour avoir un debut de mal de tete, c'est un mauvais reve si ce n'est un franc cauchemar. Pour couronner le tout, ca ne fait pas longtemps que ce n'est plus une royaute et il semble que malgre des annees de discussions, les gens n'aient pas abouti a etablir une constitution claire et viable.  Apres s'etre vus pendant des siecles comme des sujets feodaux, les Nepalais commencent tout juste a se percevoir comme des citoyens et a protester pour defendre leurs droits.  Il y a enormement d'exclusion: les hommes dominent les femmes, les castes superieures dominent les Dalit (intouchables), la race caucasienne domine la race mongoloide, les hindous dominent les autres religions et les habitants des montagnes ceux des plaines! Quoiqu' abolies sur papier en 1963, les castes demeurent vivantes sur le terrain. Le taux d'analphabetisation est eleve.Certains jeunes pourtant doues n'ont pas les moyens de poursuivre leur education et doivent travailler.

L'an dernier il y eut 350 suicides repertories, chiffre sans doute partiel puisque bien des familles camouflent le tout en accident a cause de la stigmatisation sociale.  Triste! Un des gars que j'ai rencontre au bar portait un tatouage: Club 27. Je lui ai demande ce que ca signifiait, il m'a repondu: a 27 ans, je me tire une balle dans la tete...-Pardon? C'est une joke? -Non , non, j'ai 25 ans et dans deux ans, je me tue. Saisie de stupeur, je suis partie pleurer dans les toilettes. Puis, parce qu'il voulait que j'arrete il m'a dit que c'etait une blague mais je ne crois pas. Il m'a dit aussi: si je te contais toute ma vie,  tu aurais raison de verser des larmes.

Deux guides avec qui j'ai eu le temps de discuter plus en profondeur m'ont apres un certain temps confie que leur pere les a abandonnes pour aller fonder une famille ailleurs. Du jour au lendemain, plus aucun soutien financier, plus de nouvelles, ni explications ni excuses...et c'est a la femme et aux enfants plus vieux de se demerder pour survivre. Le tout dans un pays religieux au possible ou le divorce n'existe pas!  Ha, ha ha! Excuez-moi mais mon rire est amer.

L'avortement, legalise en 2007, entraine helas 50 000 foeticides feminins par an. Comme en Inde, a cause du patriarcat, les gens preferent avoir un fils. Meme des gens eduques tombent dans le panneau: un couple d'universitaires par exemple a fait les manchettes: monsieur a force madame a quatre avortements avant qu'elle se decide a le quitter. D'autres ont moins de chance: femme brulee au kerosene par son mari pour avoir accouche d'une fille, femme enceinte battue jusqu'a ce qu'elle perde le bebe. De plus, certains docteurs font des echographies bidon: peu importe le sexe ils pretendent que c'est une femelle afin d'empocher le pognon....Plus bas que ca tu rampes sous terre! Seule l'education et un profond  changement de mentalite pourra modifier ce sombre tableau. Sur ce sujet qui me touche particulierement, Amartya Sen a fait une recherche poussee d'ou il ressort qu'il manquerait en tout (en Chine et en Asie du sud-est), tenez-vous bien, 100 MILLIONS de femmes. Oui, oui, je sais la realite depasse la fiction! C'est le monde dans lequel on vit.

Avant d'aller me restaurer, je vous offre un extrait de Song,
                  poeme d'Allen Ginsberg:

The weight of the world
          is love
Under the burden
        of solitude,
Under the burden
of dissatisfaction
       the weight,
the weight we carry
         is love

but we carry the weight
         wearily,
     and so must rest
    in the arms of love
          at last,
must rest in the arms of love.




mercredi 12 septembre 2012

Avant la tempete, avant la nuit

Avant de vous narrer le trajet qui m'a emmenee ailleurs, permettez-moi de vous citer encore quelques entrefilets vus dans le journal, soit pour leur drolerie ou au contraire leur tristesse: incroyable mais vrai.

Un Chinois en visite au Sri Lanka a tente de voler un diamant de 14 000$ en l'avalant mais aussitot fait, il est arrete et emmene a l'hopital pour y recevoir un laxatif...Un autre Chinois a failli mourir etouffe pour avoir voulu faire une surprise a sa fiancee: il s'est enferme dans une boite et s'est fait livrer chez sa dulcinee; le hic c'est que la course, au lieu de durer quelques minutes a pris trois heures et il etait evanoui lorsque la boite fut enfin ouverte. En Inde, une campagne de prevention du sida utilisait des personnages mythologiques tels Shiva et Parvati pour promouvoir l'usage des condoms, mais ils ont du se raviser devant la colere de certains groupes religieux. A Kolkotta, un fantome seme l'emoi: plusieurs ont apercu des formes volantes laissant croire qu'une portion d'autoroute est hantee, a tel point que des chasseurs de fantomes (ghostbusters) enquetent. Six freres et soeurs, orphelins, ont signe une petition pour demander a un juge la permission de se suicider, n'ayant rien a manger. A Bihar, une jeune Nepalaise, rescapee de trafficants, a ete ensuite violee par le chef de police et plusieurs autres officiers. La police a couvert les trafficants, qui se faisaient passer pour un organisme de charite.  Il existe a Patna une association qui s'appelle: Tortured Women's stuggle Front. (On n'imagine pas au Canada une realite pareille). Enfin, fait inquietant: la Chine parle de la region d'Arunachal comme etant le sud du Tibet et reclame au gouvernement indien pas moins de 90 000km carres de terres! Est-ce ainsi que les hommes vivent, comme dirait l'autre?

Revenons au train de nuit en route pour Varanasi: rien a signaler, j'ai plutot bien dormi et  nous arrivons a 13h30 dans une etuve de chaleur humide, poisseuse. Nous relaxons dans un resto et parvenons a prendre une douche, o luxe supreme, pour constater apres 5 minutes que nous revoila tout aussi trempees de sueur. Peu importe, nous avons goute un peu de repit avant de prendre un bus local. Devant moi se dresse une pyramide imposante de baggages, je me prends a prier pour que le chauffeur ne prenne un virage brusque, sous peine d'etre ecrasee sous les sacs et les valises! On s'installe tant bien que mal pour la nuit: fauteuil non inclinable et  soubresauts de rigueur, innombrables pauses chai; sommeil decousu et cou casse (air connu).

Nous arrivons a l'aube a la frontiere du Nepal et devons reveiller les douaniers qui se presentent en camisole, tout aussi fripes que nous. Nous nous separons, Catie va a Katmandou et moi a Pokhara. Au revoir,  j'espere! Ce fut un plaisir de te croiser sur ma route. J'enchaine avec un autre bus local, qui mettra neuf heures a parcourir 180km... Patience, patience! Heureusement, le paysage est ma-gni-fi-que! Tout est verdoyant et paisible, reposant et accueillant, j'ai des reminescences du nord du Laos, bref  je suis agreablement suprise. Je prends des photos et discute avec un sud Coreen qui apprend l'anglais.

A Pokhara, impression d'etre au paradis; bien que ce soit la deuxieme plus grande ville du pays, c'est calme et douillet a souhait, situe au bord d'un lac et entoure de montagnes. Des buffles, des coqs et des chevres cotoient les rares voitures. Une biere froide et une douche completent mon bonheur d'etre enfin arrivee. Il fait tres chaud, plus que la normale (de 32 a 38C); on cuit au soleil, plusieurs femmes se promenent avec une ombrelle. Apres le souper, je rentre a la noirceur car il y a -eh oui encore- une panne, mais c'est litteralement enchanteur:  les restos sont eclaires a la chandelle, tout est silencieux hormis les rires et les bavardages et des lucioles batifolent par douzaines sur fond de concert de grillons, quelle paix ! Merci la vie.

Je loge dans une chambre un peu vieillote mais calme. Au matin je deroule mon tapis de yoga dans le jardin pour me replacer le squelette. J'ai mal au cou, mon oreiller etait dur comme la pierre, mais ca n'entame pas ma joie d'etre dans ce lieu edenique. Je fais de petites emplettes et savoure un long moment de lecture dans un beau restaurant ombrage. Je devore "Les fleurs de lune", roman de Jetta Carleton offert par Catie, qui raconte le destin de quatre soeurs dans la campagne americaine du milieu du siecle. Je n'arrete pas de me repeter, etonnee et euphorique: je suis au Nepal, je suis au NEPAL!!!

Mardi le 11, donc hier, j'ai fait de l'insomnie (il faut dire que l'orage nocturne etait intense) mais malgre tout j'ai ete tres active. Apres une heure et demi de yoga, j'assiste pour le plaisir a un cours de kickboxing avec Raju (version nepalaise de Brule Lee). C'est defoulant et nous avons droit, Florion et moi, a un cours semi-prive ce qui implique qu'on sue comme des cochons: on tape comme des fous sur un sac de sable et on rigole de nos maladresses, jusqu'a sortir de la lessives apres une heure et demie de "drill" intensive.

Je m'apercois que le gite est rempli de Francais; nous sympathisons c'est fort agreable. En apres-midi nous partons a quatre louer une barque pour traverser le lac et nous en profitons pour piquer une tete, l'eau est delicieuse, je revis! Rendus de l'autre cote, nous grimpons energiquement au sommet d'une colline pour voir la Pagode de la Paix et jouir de la vue panoramique sur les environs. En redescendant, je commence a avoir les jambes molles...Au retour, nous sommes surpris par une averse intense en plein milieu du lac, je chante pour encourager les gars qui rament, luttant vaillament contre le vent  et je ris de plaisir d'avoir la chair de poule. J'arrive detrempee et frissonnante a ma chambre, m'apercevant que ma lessive, restee sur la corde a linge, n'a jamais pu secher...Wet, wet, wet!

 Apres un copieux souper de pizza dans un restaurant un peu cher mais hyper propre,  nous allons dans un "bluesbar" relax prendre une biere. La, nous faisons connaissance avec une bande de joyeux lurons, dont Elysee, un slammeur roux au nom peu commun; Nico, un Francais qui s'en vient bientot habiter en Abitibi (!), un Belge surnomme Hanuman, guide touristique en Inde depuis trois ans, un Mumbayite citoyen du monde et bon vivant ayant une voix parfaite  pour chanter du Jonny Cash, des gratteux de guitare un peu emeches qui fument a la chaine, enchainant des bribes eparses de musique gitane ainsi que d'autres larrons en foire qui- je ne sais comment- reussissent a jouer aux echecs malgre le chaos musical ambiant.

Je recrute de nouveaux boxeurs potentiels pour le lendemain matin et nous prevoyons aussi  refaire de la musique. Amenez vos potes, plus on est de fous, plus on rit! Je m'apercois que l'on me reflete souvent mon cote rassembleur et dynamique (les Israeliens a Rishikesh me demandaient toujours avec un sourire: c'est quoi tes plans aujourd'hui,  Marika? J'etais quasiment leur gentille organisatrice, suggerant moultes activites, mettant les gens en contact et deployant ma persuasion pour leur faire quitter le repaire ou ils passaient la majorite de leur temps assis.)  J'etais comme ca enfant, je me souviens; comme quoi ca a du bon parfois d'avoir la bougeotte!

Le soir, tous les dieux reunis nous pissent sur la tete, resultat: la rue est transformee en ruisseau, je rentre tres high, pas fatiguee malgre toutes les activites du jour, mais j'ai la surprise de m'apercevoir qu'il a plu dans ma chambre, en plein sur un tas de linge, donc 90% de mes vetements sont maintenant trempes mais qu'importe! Je ris lorsque je decouvre un crapaud  gros comme le poing qui s'est installe dans la flaque d'eau au pied de mon lit (par ou est-il entre?). Enfin, dans la salle de bain, je vois deux-trois rainettes grosses comme mon pouce, mignonnes comme tout. (C'est le genre de choses qui arrivent dans une chambre a deux dollars!) Il pleut il mouille c'est la fete a la grenouillle...Je ne m'en plains pas, cela rafraichit l'atmosphere. Ca devrait continuer un bout de temps, les previsions meteo affichent des orages pour les quatre prochains jours!

Ce matin, Raju est arrive avec une heure de retard mais nous avons tout de meme pousse des cris sauvages, donne des coups de pieds et des coups de poing en tout sens, allant meme jusqu'a faire de mini-combats a la fin. Je n'y retournerai pas helas, car je me suis fait mal a une cheville. (Rien de grave je crois, mais comme je veux faire un trek, pas de chance a prendre).  J'ai brunche avec Anna, etatsunienne transplantee en Chine depuis trois ans, on se conte des tranches de vie couchee sur des coussins, dejeuner royal et vue sur le lac.
Me voici sur internet, j'ai tente en vain de telecharger des photos, c'est trop lent. Je savoure tout ce temps libre avant la nuit...

Petit poeme de Jean Rignac en amuse-gueule:

"La peau, la mort, l'eros,

l'enfant, la peur, la faim

Sont de meme nature,

ici, la ou demain."









lundi 10 septembre 2012

OM SWEET OM

Decidement  mon sejour a Rishikesh, plus long que prevu, m'aura fait beaucoup de bien en me rebranchant sur mon corps par le biais du yoga. J'adore suer deux heures par jour a reinventer ma souplesse.  J'apprecie la presence empreinte de patience et d'humilite d'Upendra, qui nous explique inlassablement les bienfaits de chaque posture et  exercice respiratoire. Chanter le mantra Om  a l'unsisson  avec les autres eleves me ramene au centre silencieux de mon etre. Le 31 aout, soir de pleine lune "bleue", (qui designe la deuxieme pleine lune dans un meme mois), nous avons fait une meditation de guerison guidee par Laura, sur le toit de Devi's Ashram, ou nous avons pu admirer l'astre nocturne se levant sur fond de silhouette montagneuse, un moment empreint de douce magie et de serenite.

"Ce qui compte le plus dans votre vie a lieu en votre absence". J'ai pense a cette tirade de S. Rushdie en lisant le resultat des elections provinciales, les yeux en boules de loto, un peu perplexe. Bizarre bazar que cette situation politique comme un tabouret a trois pattes un peu bancal...l'avenir nous dira si nous reussirons un jour a changer le mode de scrutin, ce qui serait sans doute un pas dans la bonne direction. Bon courage Pauline! Je suis en tout cas soulagee de ne pas voir les liberaux reelus. La fusillade me laisse une impression de tristesse et d'irrealite. Je ne peux croire que cette haine entre anglo et francophones va perdurer.

Un apres-midi tres chaud, je lis la porte ouverte pour aerer ma chambre lorsqu'un gros singe male entre et prend une pomme sur ma table, avant de me lancer un coup d'oeil goguenard puis de repartir aussi tranquillement qu'il etait entre! Mefiez vous des macaques si vous venez en Asie; ils sont effrontes et chapardeurs. Des touristes y ont laisse leurs lunettes, voire leur appareil photo. Alex, qui balancait imprudemment un sac de bananes au bout de son bras, a du ceder le tout a un simiesque individu fort determine a repartir avec le lot.  Catie s'est fait donner une tape sur l'epaule en traversant le pont Laxman Jhula, simplement pour avoir ose regarde un de nos "cousins" dans les yeux.

Les vaches, pourtant placides et denuees de malice, peut-etre exasperees comme nous par le traffic ou les moustiques, peuvent sans crier gare nous gratifier d'un petit coup de corne. Daniel a su esquiver de justesse tel un toreador mais Nadia a ecope d'un bleu sur la cuisse.  Coquins d'animaux! Les sympathiques geckos, eux, ne sont que charmants. L'un d'eux, surnomme Georgette par Omer (persuadee qu'il s'agissait d'une femelle), venait tous les soirs nous rendre visite lors de nos "veillees su'l perron" du guest house. Un jour nous avons vu un gros lezard courir pour se mettre a l'abri; il fut trop rapide pour etre photographie, mais il mesurait au moins un metre avec la queue et ressemblait a un varan ( en plus petit). Ah, toutes les photos que   je n'ai pas prises: sourire de la femme avec une dent en or, singe auquel il manque une patte, enfants taquins qui passent comme une volee de moineaux et me saluent sans mendier quoi que ce soit, je me souviendrai de vous...J'ai finis par bousculer ma paresse pour aller au centre ville racheter un appareil photo, nous etions entasses a treize dans un rickshaw (ou l'on est confortable a six, ca donne une idee de la proximite extreme!) avec la sueur qui vous degouline sur tout le corps a cause de la chaleur, c'est quelque chose.

En lisant le journal local, encore des nouvelles violentes et invraisemblables: a Bihar, un homme met le feu a une commercante (a qui il devait deja 30$) parce qu'elle refusait de continuer a lui fournir des cigarettes a credit.  Une femme, voleuse profesionnelle et mariee en serie a une douzaine d'hommes differents en dix ans, se faisait la malle avec les bijoux et argent du pigeon  avant de disparaitre et de recommencer son manege ailleurs. Un couple d'adolescents se suicide car leurs parents, de castes differentes, s'opposent a leur mariage. Un activiste anti-corruption, arrete pour avoir manifeste, declare: si lutter contre la corruption est illegal, eh bien nous continuerons a briser la loi. Un depute dechire sa chemise pour appuyer sa demande, ajournant l'assemblee. (Quel pays dramatique!) Encore a Bihar, une fille de 16 ans est tuee par son pere pour avoir voulu marier un jeune homme d'une autre caste. On ne rigole pas avec ces questions ... Mais la lecture des quotidiens me rappelle aussi que selon la sagesse hindoue, nous vivons a l'age des Tenebres, Kali Yuga, qui aurait commence plus de 3000 ans avant J.C. et durera plus de 400 000 ans; periode de noirceur et de perte des valeurs qui maintenaient la paix, ou il est predit que les hommes s'entre-dechireront.

Un soir, je vais a l'hotel d'en face demander aux Israeliens de baisser le volume de leur musique et je finis, ironie du sort, par passer pres de deux heures a jaser avec eux (moi qui esperais me coucher tot ce fut rate, mais ne dit-on pas: if you can't beat them, join them?). Je fais la connaissance de Mehdi, un jeune Marocain qui voyage hors de son pays pour la premiere fois et qui parle un francais aussi impeccable que son anglais.
Je l'invite a venir a l'ashram le lendemain et il s'avere que c'est l'anniversaire de Neeti, que les enfants du voisinage viennent saluer; l'un apportant un dessin, l'autre des bonbons, une jeune fille lui tresse les cheveux, on l'entoure de tendresse et elle se laisse gracieusement celebrer. Le soir venu, Franco, un Italien exhuberant et tordant (tellement extraverti avec son rire tonitruant, sa gestuelle excessive et ses grimaces comiques) investit la cuisine afin de mitonner des tagliatelles fraiches. Je l'aide de bon coeur et nous faisons mine de nous regaler d'un verre de vin ( il s'agit de coca-cola) et deconnons joyeusement en decoupant les pates et les legumes, aides par Laura. Je me delecte jouissivement de les entendre causer dans leur langue maternelle, si fleurie et musicale.

 Encore un moment de partage, dans la simplicite et la chaleur humaine. Decidement, c'est avec l'impression de laisser une partie de mon coeur chez eux que je leur dis au revoir. Heureusement que le coeur repousse comme la queue coupee d'un lezard, autrement je reviendrais au Quebec avec des fragments au milieu de la poitrine! Car le titre de cette chronique evoque aussi a quel point j'en suis venue a me sentir a l'aise dans ce pays, pourtant si different de ma patrie natale et c'est avec une pointe de deuil que je me prepare a partir.

J'ai commence la lecture de " Benares-Tokyo", d'Olivier Germain-Thomas, recit de voyage en orient.
Il y dit, a propos de l'Inde: Je continue a me croire chez moi, mais avec un sourire. Je sais que le fosse ne sera jamais comble. L'amour propose une semblable enigme. Seuls les mystiques comblent les fosses. Comment? On se tait.

Peu avant mon depart de Rishikesh, je me suis fait lire les lignes de la main, pour le plaisir...d'ou il ressort que je vivrai jusqu'a 92 ans si j'evite la conduite rapide et les jeux dangereux (ex: sports extremes), que j'aurai peut-etre un enfant, que j'ai interet a me concentrer sur mon travail et ma vie sentimentale pour les 3-4 prochaines annees, que je serai prospere a partir de fevrier 2013  et que je me marierai en aout 2014 avec mon ame soeur! Well, well...qui vivra verra, Fulda Bebra!. (Inside joke pour Genou).

Le 7 septembre, Catie et moi prenons le bus pour Haridwar, ou nous avons assiste au Puja du soir: une foule de pelerins se presse sur les ghats pour assister a cette ceremonie rituelle ou des mantras sont chantes, puis des offrandes de fleurs et de bougies deposees au fil de l'eau. Les plus courageux se trempent dans l'eau du Gange pour se purifier, ce qui cree un tableau vivant, colore. Pendant une quizaine de minutes, nous sommes la proie consentante de plusieurs paparazzi amateurs: des couples et des familles entieres souhaitent se faire tirer le portrait avec nous! J'aime l'ambiance animee de la rue principale, en partie pietonne, ou les receleurs de bebelles devotionnelles cotoient les chaiwallas (vendeurs de the). A minuit tapant, notre train s'arrache a l'inertie, direction Varanasi.

"Quand tu aurs enfin visite
 Tous les sanctuaires de la terre
 Tu reviendras chez toi regarder
 La vie dans une goutte d'eau
 Deposee par la pluie d'automne
 Sur une feuille de bananier. "

- Oe Tomatsu